Un spectacle électro-rock et culinaire
AVIGNON OFF - Sur un malentendu, une foule prise de folie a torturé, immolé et mangé l'un des siens. La recette de cette déraison est décortiquée avec la complicité d'une cuisine sur fond de rock.
D'un côté de la scène, la cuisine rêvée des années 1950 avec tous les objets du confort moderne, occupée par une ménagère très Salon des arts ménagers. De l'autre, un pianiste et un guitariste, très "comme il faut", costume sombre de rigueur. Entre eux, le narrateur qui va incarner tous les personnages d'une effroyable affaire, victime, bourreaux et simples participants.
16 août 1870, des villageois de Hautefaye, en Dordogne, s'acharnent sur Alain de Monéys, pour de supposées paroles pro-prussiennes, et le mettent à mort jusqu'au bûcher et au cannibalisme. Quatre seront condamnés à mort, les autres aux travaux forcés ou dispensés de peine en raison de leur jeune âge.
En adaptant le roman qu'en a tiré Jean Teulé, Jean-Christophe Dollé, le narrateur, fait de la cuisine bien plus que le lieu du récit. Les activités et les attitudes de la ménagère ponctuent l'escalade des événements. Elle est monsieur et madame Tout-le-monde dépassés par l'histoire, complices par inadvertance. Elle prépare sa poêlée de légumes avec détachement (elle les fait réellement cuire, le spectacle est à midi, ventres affamés, retenez-vous!) et soudain son hachoir s'abat. La cuisine modèle va devenir barricade, bûcher, table de torture. L'inventivité et l'imagination sont mises au service de cette transformation sans bornes du décor. La musique prend elle aussi sa part dans le drame, elle n'est pas une simple illustration, les musiciens ont leur rôle dans l'action.
Ces quatre comédiens-musiciens-chanteurs nous cuisinent de façon étonnamment digeste un thème grave et intemporel : comprendre comment un groupe humain en vient à franchir les limites de la raison.
Françoise Josse
Un spectacle à couper le souffle.
Un texte de Jean Teulé, merveilleusement interprété par Jean-Christophe Dollé, le narrateur qui vous entraîne dans une histoire étonnante et vraie qui s'est passée en France, dans un petit village de Dordogne, il y a moins de 150 ans. Une foire annuelle, un malentendu, une folie collective, dans une période de crise, de guerre qui dégénère… jusqu'au cannibalisme d'Alain, lui le copain d'enfance. Tous les personnages sont plantés avec un décor qui se transforme tout au long de l'histoire d'une cuisine à une table de torture avec à son bord une ménagère, Clotilde Morgiève, tour à tour mère ou monstre cruel, le tout servi par deux musiciens qui ponctuent le récit d'un électro-rock saisissant. La musique fait partie Intégrante du spectacle, qu'elle provienne des instruments électroménagers ou de ta guitare comme du piano ; elle est le support de l'histoire et nous fait réagir. Un spectacle fort, mené tambour battant, à l'humour noir avec une pointe de cynisme qui fait tantôt froid dans te dos, tantôt sourire jaune…
Un incontournable à ne pas manquer.
Comment l’horreur vient à l’homme ? Comment la folie vient à la foule ? Comment l’inconscience vient à l’innocence ? L’histoire s’inspire d’un fait divers périgourdin de 1870 sur fond de guerre avec les Prussiens : un jeune homme conspué, lynché, sera dévoré par un village voisin ami, sans raison. Dans une avalanche, aucun flocon ne se sent responsable, comme disait le poète polonais Jerzy Lec. L’adaptation du roman de Jean Teulé est une performance artistique, scénographique et sonore, un conte tragique qui nous embarque par les tripes dans les méandres insoupçonnés et illimités de la connerie humaine, on sort l’estomac révulsé, l’âme révoltée, et tout retourné.
Stephen Bunard
Mangez-le si vous voulez : quand les hommes deviennent des monstres !
Voilà une adaptation audacieuse et imaginative d’un roman de Jean Teulé qui raconte un fait divers monstrueux qui s’est déroulé dans le Périgord en 1870. Jean-Christophe Dollé a pris le partie de mettre beaucoup de dérision dans un spectacle qui regorge de trouvailles inventives.
C’est une véritable tragédie qui s’est nouée en 1870 dans le village de Hautefaye au cœur du Périgord. Alain de Monéys, adjoint fraichement élu à la Mairie, doit partir au front. Et pour une parole malencontreuse prononcée lors de la foire annuelle, les habitants hystériques vont le lyncher et le brûler ! Jean Teulé a déterré un fait divers inouï qui donne à Jean-Christophe Dollé l’occasion de créer une pièce où la fantaisie vient dédramatiser l’horreur.
Sur scène Jean-Christophe Dollé est accompagné de Clotilde Morgève, chargée de mettre en cuisine les mots de cette histoire et de deux musiciens qui mettent de la légèreté et de l’espièglerie.
Jean-Christophe Dollé joue tous les personnages et passe de l’un à l’autre avec une belle agilité et une grande fluidité, en changeant sa voix pour chacun. Dans une cuisine, style années 50, Clotilde Morgève est aux fourneaux tandis que les musiciens nous gratifient de surprises musicales. Il y un côté "BD théâtral" dans le spectacle. On s’attend par moment à voir apparaitre des bulles au dessus des têtes. Le décor et les effets nombreux n’écrasent pas le jeu et la narration. Le rythme ne faiblit jamais. C’est cynique et poétique et cela nous fait réfléchir sur la part du monstre qui peut survenir dans l’être humain.
En 2009, le Fouic Théâtre de Jean-Chistophe Dollé s’est fait connaître avec Abilifaïe Léponaix, un spectacle basé sur le vécu de malades dans un hôpital psychiatrique. C’est une sorte de folie qui s’exprime ici avec ce spectacle magnifique.
Stéphane CAPRON
Mangez-le si vous voulez : machine à jouer
Je déteste quand les metteurs en scène prennent les textes au pied de la lettre. Ça donne des mises en scène bien réalisées, qui partagent les mots de l'auteur au public… mais qui sont tellement sages ! (pour ne pas dire ennuyantes.) J'ai vu, depuis le début du Festival OFF, une adaptation d'un roman que j'avais déjà lu (et bien aimé), Quand souffle le vent du nord, et deux pièces de Matei Visniec, soit Le mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux et Petit boulot pour vieux clown. Ces trois spectacles sont loin de m'avoir déplu, mais ils m'ont laissée avec une impression d'incomplétude ou de redite… Même lorsque je n'avais jamais lu le texte avant, les signes de la représentation (que ce soit le jeu des acteurs, le choix des accessoires, etc.) me semblaient souvent redondants, comme s'ils ne disaient rien d'autre que ce que le texte disait déjà. Des signes perroquets.
Ce n'est donc pas étonnant que la quatrième pièce du OFF à laquelle j'ai assisté m'ait renversée. Enfin une mise en scène qui allait à contre-courant du texte !
Je vous mets brièvement en contexte : Mangez-le si vous voulez est une adaptation théâtrale d'un roman qui raconte comment, en 1870, un jeune homme, Alain, apprécié de tous les gens de sa région et s'apprêtant à partir défendre son pays contre la Prusse malgré un léger handicap physique, se fait battre à mort puis brûler et manger par ses amis à cause d'un malentendu.
Il s'agit à la base d'un texte très lourd, assez violent même. Des détails atroces et dégoutants y sont relatés. La compagnie Fouic Théâtre propose une mise en scène complètement décalée parce qu'extrêmement ludique et humoristique par instants. Un très bon exemple de ce décalage (pas particulièrement drôle celui-là, par contre) est la scène où Anna, l'objet de désir d'Alain, se donne à Petit Bassou, 14 ans, pour l'empêcher de tuer Alain. Le narrateur raconte comment elle remonte sa robe, ce pendant que l'actrice déboutonne son chemisier. Les deux gestes signifient la même chose au final, mais en créant une opposition (bas vers haut vs. haut vers bas), la répétition inutile est évitée. Je ne pourrais pas dire que cela ajoutait une couche de sens, mais à l'intérieur, ça m'a fait quelque chose, ce décalage. De même lorsque le narrateur décrit la jouissance d'Anna alors que l'actrice est complètement apathique. La force de ce moment tout en contradiction ! "Jouer à contre texte". Cette phrase de Ionesco me revient sans cesse pour se confirmer de plus en plus à chaque fois. La tension qui est créée dans ces petits instants d'opposition (ou quand on prend les choses à rebrousse-poil, comme l'affirmait Dieudonné Niangouna lors d'une conférence à laquelle j'ai assisté) apporte cette énergie essentielle pour faire vivre le texte. C'est la décharge électrique qui l'anime.
Mangez-le si vous voulez est une pièce pleine de ces décharges qu'elle réussit à propager grâce au ludisme qui y est employé. Chaque élément présent sur scène est une partie de l'immense machine à jouer qu'est la pièce. D'abord, le décor. Il s'agit d'une cuisine des années 1950 dont chaque recoin est utilisé au maximum et de toutes les façons inimaginables. Ensuite, les acteurs. La femme est utilisée comme un accessoire de jeu au même titre que le décor qu'elle manipule tout en cuisinant. Ses gestes viennent ponctuer les propos du narrateur. On mitraille, elle hache violemment les carottes, on coupe une main, elle claque une porte d'armoire, etc. Et comme elle cuisine réellement, une odeur appétissante se dégage de la scène, présage de la fin cannibale du récit. Le narrateur, quant à lui, joue tous les personnages, même celui d'Anna et de la mère d'Alain, dont les corps appartiennent à l'actrice, mais la voix à l'acteur. C'est un conteur extrêmement physique qui fait face aux spectateurs. En plus de narrer et de jouer les personnages, il manipule le décor et même, est parfois manipulé par lui. Le conte est un choix plus qu'adéquat qui participe au ludisme de la représentation tout en créant des contrastes intéressants. Celui qui se fait battre est le même que ceux qui battent. Il est à la fois Alain et le maire qui propose qu'on le mange.
Enfin, la musique. Deux musiciens sont présents sur scène. Tout comme le décor, ils ponctuent le récit de sons, de musique d'ambiance et parfois même de faits historiques. Loin d'être mis de côté comme simple supplément de la représentation, ils fusionnent complètement avec les autres éléments de jeu. Par exemple, quand le narrateur raconte les coups donnés à Alain, les musiciens se lèvent pour mimer la scène à l'aide de télécommandes qui activent des sons de coups. L'ensemble forme une musique.
Bref, on peut dire que tous les éléments présents sur scène dans Mangez-le si vous voulez sont accessoires. Mais des accessoires de jeu qui participent à une grande machine à contrastes et à ponctuation. Et c'est grâce à cette machine que le décalage d'avec le texte est possible. Un décalage nécessaire pour garder le texte en vie !
Claudia Blouin
Jusqu’où peut aller une foule dans la cruauté dans une mise en scène époustouflante.
LE PITCH
En 1870, pendant la foire annuelle, un homme est pris à partie par pratiquement tout le village pour un mot de travers à peine prononcé. Ils se jettent sur lui et sous les yeux de tous, il sera lynché, brûlé vif et en partie mangé, et pourtant Alain de Moneys était leur ami d’enfance, leur voisin, élu à l’unanimité au conseil municipal.
L’AVIS DU FESTIVALIER
Un spectacle époustouflant. Il s’agit d’une histoire vraie, intemporelle, elle se passe en 1870 mais pourrait tout aussi se situer à notre époque. C’est l’histoire de la lâcheté ordinaire, qui, elle n’a ni frontière, ni limite temporelle. Pour ne pas l’enfermer dans un contexte historique on trouve sur scène une ménagère modèle dans une cuisine des années 50, deux musiciens en costume noir contemporain et le narrateur est lui aussi en habit d’aujourd’hui. La ménagère cuisine sous nos yeux, elle a une présence magnifique malgré un rôle quasiment muet. La musique souligne les différents sentiments, la violence, puis s’intensifie au fur et à mesure de la montée de la folie qui s’empare des personnages. Le décor, cuisine bien rangée, au début, se désarticule peu à peu et devient barricade, bûcher, table de torture. Du narrateur aux musiciens en passant par la cuisinière tous font preuve d’un grand professionnalisme et s’adaptent parfaitement à cette mise en scène déjantée. On est là dans du théâtre abouti, une mise en scène des plus originale qui met en valeur comédiens et musiciens.
Josyane Sicard
Jean-Michel Ribes à l’Alizé
Dans la petite salle comble du théâtre de l’Alizé, à l’heure de midi, se joue tous les jours une pièce culinaire tragi-comique "Mangez-le si vous voulez !", d’après un texte de Jean Teulé. A la séance d’hier, on a pu y apercevoir parmi les spectateurs, le directeur du théâtre parisien du Rond-Point, Jean-Michel Ribes. Ce personnage du théâtre français, également acteur, dramaturge et metteur en scène, venait certainement prendre le pouls de la création française, notamment à travers cette pièce, mis en scène et interprétée magistralement par Jean-Christophe Dollé, qui s’inspire d’un fait divers de cannibalisme remixé étonnamment à la sauce pop-rock. Ce spectacle fera-t-il carrière à Paris dans ce théâtre dédié à la création contemporaine ? A suivre.
On s'interroge, on tremble devant ce spectacle, on sourit aussi
D'un côté les guitares électriques, de l'autre une cuisine des sixties avec sa bonne ménagère. Voilà le décor d'un sombre fait divers qui se passe dans un village de Dordogne… en 1870. Drôle de mélange ! Et pourtant, la mise en scène inventée pour l'adaptation de ce roman de Jean Teulé est une mayonnaise qui prend !
Au centre, le comédien Jean-Christophe Dollé passe avec un talent incroyable du rôle de narrateur à celui de l'infortuné Alain de Monéys, jeune homme dévoré par ses voisins sur un incroyable malentendu, en passant par tous les personnages de cette tragique histoire. Rythmé par les coups de hachoir d'un côté, les riffs de guitare de l'autre, le récit tient le spectateur en haleine... et en appétit, le repas cuisant lentement dans la cuisine.
Comment la folie peut-elle gagner ainsi une foule au point de lui faire perdre toute humanité ? Un contexte historique (la France est alors en guerre contre la Prusse), l'inculture paysanne, la défaillance des autorités sont certes des ingrédients, mais cela ne saurait suffire à expliquer un tel dérapage. On s'interroge, on tremble devant ce spectacle, on sourit aussi devant l'inventivité de la mise en scène qui traite de ce fait divers avec un tendre cynisme. La performance est saluée par de longs applaudissements et on en sort tout retourné autant par le propos que par le show !
Mathilde Bournique
Cannibalisme et barbarie du quotidien dans le "Off" d'Avignon
Parmi les 1 265 spectacles donnés cette année dans le "off" d'Avignon, certains refusent du monde, portés par le bouche à oreille, comme le saisissant "Mangez-le si vous voulez", sur un acte collectif de cannibalisme en 1870 en Périgord.
La salle du théâtre de l'Alizé est archi-comble tous les jours à 12H00 pour "Mangez-le si vous voulez", d'après le roman de l'écrivain Jean Teulé.
Le mardi 16 août 1870, Alain de Monéys, jeune homme aimé de tous ses voisins, se rend à la foire de Hautefaye, le village voisin. Sur un malentendu - on l'aurait entendu dire "A bas la France"- il est lynché, torturé, brûlé vif et même mangé par des villageois qui le connaissent depuis l'enfance.
Pris pour un "Prussien", en pleine guerre de 1870, il subit un atroce supplice: le maréchal ferrand lui cloue des fers aux pieds, un voisin lui enfonce sa fourchette dans l'oeil, il est écartelé par ceux-là même qu'il avait salués à son arrivée deux heures plus tôt.
Pour mieux évoquer la bêtise ordinaire de ces "braves gens" qui soudain voient un Prussien en leur voisin, le metteur en scène et acteur Jean-Christophe Dollé a placé sa pièce dans une cuisine des années 50. Une pimpante ménagère (Clotilde Morgiève) concocte un rôti pendant que le narrateur explore la folie collective d'un village entier, maire compris.
Deux musiciens formidables (Laurent Guillet et Mehdi Bourayou) donnent le tempo de cette cérémonie culinaire macabre.
On frémit, on se pince: oui, le "drame de Hautefaye" a bien existé, et plusieurs de ses protagonistes ont été condamnés à mort. Certains ont été épargnés du fait de leur jeune âge : 14 ans, et même 5 ans pour le gamin qui mit le feu au bûcher.
© La Scène © Agence France-Presse
Le village des cannibales, aux portes de la Charente,
fait le plein à Avignon
Parmi les 1 265 spectacles donnés cette année dans le "off" d'Avignon, certains refusent du monde, portés par le bouche à oreille, comme le saisissant "Mangez-le si vous voulez", sur un acte collectif de cannibalisme en 1870 en Périgord, et "Building", ou la barbarie du quotidien dans l'entreprise. La salle du théâtre de l'Alizé est archi-comble tous les jours à 12H00 pour "Mangez-le si vous voulez", d'après le roman de l'écrivain Jean Teulé. Ce spectacle est tiré d'une histoire réelle, qui s'est déroulée en Dordogne, à quelques kilomètres de la Charente, avec plusieurs Charentais parmi les auteurs de ce drame atroce. Le mardi 16 août 1870, Alain de Monéys, jeune homme aimé de tous ses voisins, se rend à la foire de Hautefaye, le village voisin. Sur un malentendu - on l'aurait entendu dire "A bas la France"- il est lynché, torturé, brûlé vif et même mangé par des villageois qui le connaissent depuis l'enfance.
Le village des cannibales
Comme ces canards à la tête tranchée, il court encore!» Alain de Moneys, jeune bourgeois aimé de tous et tout juste élu à l'unanimité conseiller municipal du village voisin de Beaussac, n'est pas encore au bout de son chemin de croix dans les ruelles de Hautefaye en cet après-midi du 16 août 1870.
Sa pendaison ? Ratée. Les branches du cerisier n'étaient pas assez solides. Sa crucifixion chez le maréchal-ferrant ? Ecourtée, par l'appel d'une tournée générale, malgré des phalanges de doigts de pied coupées à la tenaille. Son écartèlement dans la halle aux grains ? Manqué, non sans avoir «les têtes de fémur délogées de leur cavité». Le bûcher aura finalement raison de celui qui s'apprêtait à partir à la guerre mais qu'un incroyable quiproquo transforme en «Prussien» face à une foule déchaînée (lire ci-dessous). Au point de finir sur des tartines badigeonnées avec sa propre graisse
De nombreux Charentais condamnés
«Cette gestion instinctive et collective du massacre dilue la responsabilité de chacun», écrit Jean Teulé, dont le livre sur ce crime atroce sort aujourd'hui à plus de 100.000 exemplaires (1). Parmi les 600 personnes du coin réunies ce jour-là à la foire du village, seules 21, âgées de 13 à 72 ans, ont été jugées quelques mois plus tard. Quatre d'entre elles ont été guillotinées sur la place même du village, alors qu'une cinquième a été condamnée au bagne à perpétuité en Nouvelle-Calédonie. Jean Campot, agriculteur de Mainzac, le village charentais limitrophe de Hautefaye, est sorti des travaux forcés au bout de trente ans. En changeant de nom pour prendre celui de sa victime comme c'était l'usage à l'époque, avant de le transmettre à sa descendance. «Une forme de rédemption, pour cet homme qui redonnera la vie au nom de Moneys après avoir enlevé celle d'Alain», explique Jean Teulé. L'actuel maire de Mainzac, Patrice Dominici, n'est installé que depuis une dizaine d'années en Charente. «J'ai entendu vaguement parler de l'histoire... Les gens qui la connaissent ne veulent pas du tout en parler. C'est un sujet encore délicat, même aujourd'hui.»
A l'époque, le pouvoir a voulu raser Hautefaye. Puis le débaptiser. Hautefaye existe toujours, figée, comme hébétée par cette odeur de mort. Les bâtiments n'ont pratiquement pas bougé. Seule la mairie est aujourd'hui à la place de l'ancienne auberge, là où «chacun se levait pour participer au carnage».
Comme le notaire de Marthon qui «envoie le bout de ses chevreaux noirs vernis dans les dents cassées» d'Alain De Moneys. «C'étaient tous des gens normaux, sans passé judiciaire, pas des bêtes assoiffées de sang. C'est incompréhensible et terrifiant, raconte Jean Teulé.
Le lendemain, tout le monde était hagard.» Comment par exemple un homme qui s'était fait payer la pierre tombale de sa propre fille par de Moneys a-t-il pu le «frapper d'un gourdin en plein visage»?
Le maire de Hautefaye : «Pourquoi s'acharne-t-on?»
«La gueule de bois dure depuis 139 ans», résume Jean Teulé, loin d'être le premier à écrire sur Hautefaye, à l'image d'un livre de 1995 intitulé «Le village des cannibales». Près d'un siècle et demi plus tard, les plaies restent toujours à vif. «Je ne vois pas pourquoi on s'acharne sur nous», explique le maire actuel de Hautefaye, Francis Dionnary. Maire depuis 1977, il soupire de voir régulièrement revenir ce drame en pleine lumière au gré des écrits sur «que beaucoup exagèrent». Le cannibalisme «n'est fondé sur rien». Quant au «Mangez-le si vous voulez», qu'aurait prononcé le maire de l'époque complètement dépassé par les événements, Francis Dionnary demande encore: «Qui a entendu cette phrase ?» Surtout, celui qui a découvert l'histoire à l'âge de 14 ans, grâce à un feuilleton sur le crime proposé dans un quotidien local, se demande à chaque coup de projecteur «à quelle sauce ils vont encore nous l'arranger». Car l'homme de 67 ans, originaire de Souffrignac, autre village charentais voisin de Hautefaye, tient aux précisions. Les protagonistes de cette foire sanglante, ne venaient finalement que très peu de son village de 133 habitants aujourd'hui. «Les quatre condamnés à mort n'étaient pas d'ici, sauf un, et deux étaient de Charente.» Avec aussi cinq ans de travaux forcés pour un paysan de Feuillade, les deux frères Campot de Mainzac qui ont donné les tout premiers coups, le notaire de Marthon «De toute façon, il ne veut pas parler des Charentais qui ont été guillotinés, mais seulement du village de Hautefaye», se lamentera Francis Dionnary, croyant avoir raccroché le téléphone en fin d'interview.
Un siècle plus tard, une messe a bien eu lieu à Hautefaye pour se souvenir de cette hystérie collective. Descendants des bourreaux et de la victime unis dans la prière le 16 août 1970. Mais le village restera marqué à jamais par «ce jeu si laid qu'il n'y a guère plus que le diable pour en profiter».
Un Prussien
Pris pour un "Prussien", en pleine guerre de 1870, il subit un atroce supplice: le maréchal-ferrant lui cloue des fers aux pieds, un voisin lui enfonce sa fourchette dans l'oeil, il est écartelé par ceux-là même qu'il avait salués à son arrivée deux heures plus tôt. Pour mieux évoquer la bêtise ordinaire de ces "braves gens" qui soudain voient un Prussien en leur voisin, le metteur en scène et acteur Jean-Christophe Dollé a placé sa pièce dans une cuisine des années 50. Une pimpante ménagère (Clotilde Morgiève) concocte un rôti pendant que le narrateur explore la folie collective d'un village entier, maire compris.
Deux musiciens formidables (Laurent Guillet et Mehdi Bourayou) donnent le tempo de cette cérémonie culinaire macabre. On frémit, on se pince: oui, le "drame de Hautefaye" a bien existé, et plusieurs de ses protagonistes ont été condamnés à mort. Certains ont été épargnés du fait de leur jeune âge: 14 ans, et même 5 ans pour le gamin qui mit le feu au bûcher.
Teulé à la cour d'honneur.
Pas moins de trois adaptations théâtrales de ses romans terribles font fureur dans le Off. A sa plus grande surprise !
Rencontre avec le trublion des lettres françaises.
Hélène, l'héroïne de son dernier roman "Fleur de tonnerre", ne lui a pas distillé de toxique mais a puisé toute son énergie. De février à juin, la célèbre empoisonneuse l'a suivi comme son ombre dans toutes les librairies de France et de Navarre. Une escale à Avignon, dans la fournaise, le bruit et la fureur, aurait été une ultime "torture" pour Jean Teulé. C'est donc de sa fantasmagorique Bretagne que l'homme de lettres assassines a répondu à nos questions. Ne dérogeant pas à sa réputation de gentleman gouailleur, chantre libertaire pétri d'aménité.
C'est un beau triplé que vous alignez, trois adaptations théâtrales à l'affiche du Off et qui cartonnent, ça vous fait quoi ?
C'est fou. Je le dois aux gens des compagnies qui les défendent. Je les appelle mes gagneuses. J'ai tout d'un maquereau, je devrais m'acheter un costume à rayures et des chaussures bicolores (rires).
II y a aussi une vingtaine d'adaptations du Magasin des suicides un peu partout dans le monde, en Chine, Brésil… Il serait le livre d'un auteur vivant le plus adapté. J'en reviens pas.
Donnez-vous votre avis sur ces travaux ?
Je ne m'en mêle jamais. J'aime trop la liberté pour imposer quoi que ce soit. Pensez pas à moi, je leur dis à tous, foutez-vous la paix, faites votre oeuvre.
Vous êtes abonné à la liste des auteurs de best·sellers, jamais en dessous de 150 000 exemplaires, vous le vivez bien ?
Très tranquillement, car ça m'arrive assez tard dans la vie (il a 60 ans cette année, Ndlr). À 25 ans j'aurais risqué de prendre le melon. En fait je m'en rends compte quand je reçois le chèque en fin d'année de mon éditeur, je me dis : ah quand même! Je vis en fait mon rêve d'écrivain.
Pas mal pour un cancre rêveur…
Exactement. Qu'en diraient aujourd'hui les profs de seconde qui me collaient à la dernière place ?
Continuez-vous à envoyer vos manuscrits à Madame Tap votre institutrice ?
C'est elle qui m'a appris à lire et à écrire. Elle a aujourd'hui 95 ans et vit dans une maison de retraite près de Toulouse. Sur chacun de mes manuscrits elle m'engueule pour mes grossièretés: "Mon p'tit jean je ne voudrais pas que l'on croie que c'est moi qui t'ai appris cela". C'est devenu un jeu.
Vous-même ne seriez-vous pas tenté par la mise en scène théâtrale ?
Jean-Michel Ribes m'a déjà demandé plusieurs fois d'écrire une pièce. Un jour j'aimerais m'y coller mais ça me fout le trac.
Au cinéma, il y aura bientôt deux nouvelles adaptations : Fleur de tonnerre, en 2014, avec Léa Seydoux, le premier film de Stéphanie Kervern. Et Longue peine par le Belge Vincent Lannoo.
D'où vient cette fascination pour les personnages hors normes, voir borderline ?
On me pose très souvent la question. Je devrais peut-être me lancer dans une analyse, mais c'est un peu tard et en fait je m'en fous.
Recueilli par C. MALAURE
Comment rendre avec des mots, mes pauvres mots, toute la charge émotionnelle d'un spectacle comme celui-là ?
Comment vous faire sentir et ressentir cette palette, ce concentré d'émotions qui vous saisit, vous retourne, vous écrase, vous révolte, vous bouleverse, vous laisse épouvanté, écrasé sur votre siège, mains crispées en une inconsciente prière, avec parfois une envie de vous boucher les oreilles pour ne plus entendre ? Mais qui aussi vous fait rire, vous interpelle, vous laisse enfin admiratif devant le travail accompli.
Ne plus entendre ces mots qui font revivre l'incroyable calvaire d'un jeune homme qui pour un mot compris de travers sera torturé, mutilé, lynché, brûlé et pour finir mangé par une foule incontrôlable, ses voisins, ses amis.
Folie meurtrière, phénomène de groupe, hystérie collective. L'horrible force d'une foule déchaînée.
Qui peut se déclencher n'importe quand, n'importe où, à n'importe quelle époque, pour peu que des circonstances particulières jettent en pâture un bouc émissaire. Quand l'homme devient monstre.
C'est cette intemporalité qu'a choisi de mettre en avant Jean-Christophe Dollé qui interprète le narrateur mais aussi tous les autres personnages avec une force, une conviction, mais aussi une dérision exceptionnelles.
Mêlant la musique électro-rock et les riffs de guitare électrique de deux musiciens formidables, (Laurent Guillet et Mehdi Bourayou), cuisine réelle mijotée par une ménagère représentant Monsieur et Madame Tout le Monde, excellente et bouleversante Clotilde Morgiève, une cuisine qui vous porte aux narines de délicieuses odeurs d'oignons frits ou de popcorn jaillissant d'une poêle et narration vivante et précise, l'adaptation du texte de Jean Teulé regorge de trouvailles d'une folle invention, d'une fantaisie propre à nous laisser reprendre souffle, dans un jeu qui ne faiblit jamais et une utilisation inouïe des décors années 1950.
La fin est magnifique, d'une beauté à vous faire monter les larmes aux yeux.
C'est assurément LE spectacle de cette édition 2013, qui vous laisse KO, à la fois sonné, émerveillé et plein d'interrogations.
Le public ne s'y est pas trompé, c'est salle comble tous les jours(il faut absolument réserver) et c'est un flot, un tonnerre, une salve d'applaudissements qui salue une réalisation vraiment exceptionnelle.
Nicole Bourbon
L'histoire est vraie, basée sur un événement qui s'est déroulé en France, dans un petit village de Dordogne, il y a moins de 150 ans.
C'est à l'occasion de la foire annuelle que sur un malentendu, les villageois sont pris d'une folie collective, dans une période de crise, de guerre avec la Prusse et qui dégénère… jusqu'au cannibalisme.
Un texte de Jean Teulé, merveilleusement interprété par Jean-Christophe Dollé, le narrateur qui vous entraîne dans cette histoire étonnante. Tous les personnages sont plantés avec un décor d'époque qui évolue tout au long de l'histoire d'une cuisine à une table de torture avec à son bord une ménagère , Clotilde Morgiève, tour à tour mère ou monstre cruel, le tout servi par deux musiciens qui ponctuent le récit d'un électro-rock saisissant.
La musique fait partie intégrante du spectacle qu'elle provienne des instruments électroménagers ou de la guitare comme du piano ; elle accentue cette histoire tragique et fait monter crescendo les émotions.
Un spectacle fort, mené tambour battant, à l'humour noir avec une pointe de cynisme qui fait froid dans le dos ou sourire jaune…
Joelline REGNE
Par Samuel GUILLEMIN
Tirée d’un fait divers, qui s’est passé le 16 août 1870 à Hautefaye, un petit village du Périgord, cette pièce retrace la dernière journée d’un villageois sans histoire : Alain De Moneys. Il venait d’être élu au conseil municipal de son village et avait décidé de partir à la guerre contre les Prussiens, malgré son léger handicap. Pourtant, en ce jour de fête annuelle du village, il ne se doutait pas que pour un mot de trop, un malentendu, il allait devenir la tête de turc ou de prussien, d’une foule avide de violence.
Jean Teulé a cherché, à travers son œuvre, à comprendre comment un village entier a pu devenir fou, au point de massacrer l’un des leurs, jusqu'à le manger sur la place publique. Des mouvements de foule qui tournent au lynchage ou au viol sont pourtant plus fréquents qu’on le croit. C’est pourquoi il est précieux d’étudier ce cas avec le recul historique.
Jean-Christophe Dollé réussit ici une triple performance de comédien en incarnant subtilement la future victime, ses proches et ses bourreaux. Il sublime aussi la mise en scène, avec ses deux musiciens et sa partenaire. Il nous bluffe par l’ingéniosité et l’efficacité redoutable de sa mise en scène. Il adore les images, les métaphores et jouer avec les symboles. Puisqu'il est question de manger, rien de tel que de placer la scène dans une cuisine qui se transforme en barricades, en bûcher, en tables de tortures... Ils jouent dans cette cuisine comme les enfants lorsqu'ils jouent à la dînette, comme des gens qui tueraient "pour de faux", scandant des injures sur des airs de douce mélodie enfantine. Cette vision sarcastique ferait presque rire, tellement elle semble invraisemblable. Pourtant, la réalité a dépassé la fiction ce jour-là.
Lorsque Jean-Christophe Dollé incarne Alain De Moneys, il ne crie pas. Mais toute la salle retient son souffle tant les récits sont criants d’horreur. Les musiciens qui accompagnent cette pièce à la guitare électrique et au synthétiseur offrent un peu d’oxygène avec leur second degré et leurs douces mélodies, parfois explosives.
Clotilde Morgiève incarne elle, tous les rôles féminins. Elle symbolise également Madame tout le monde qui continue à faire sa cuisine, regardant ailleurs, comme si de rien n’était.
Ce genre de mouvement de foule meurtrière arrive encore trop souvent, comme sur la place du Caire en ce moment, ou peut-être demain en bas de chez vous. Cette pièce offre une prise de conscience contre la folie collective. Elle devrait être vue par chacun, pour donner une conscience à la foule de demain. Un de nos coups de cœur de cet Avignon 2013.
Avignon récompense la ténacité et l'inventivité du Fouic Théâtre
Sandrine Blanchard
C'est l'une des très bonnes surprises du Festival "off" d'Avignon, qui s'achève mercredi 31 juillet. En adaptant avec brio le roman de Jean Teulé, Mangez-le si vous voulez, Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève, cofondateurs du Fouic Théâtre, ont conquis le public de la Cité des papes. Avant leur aventure avignonnaise, ils n'avaient joué que cinq fois cette nouvelle pièce, à Elancourt et Bougival, dans les Yvelines. Le "off", ils connaissent. Depuis 2006, ils y ont présenté trois créations (Blue.fr, Abilifaïe Léponaix et Noces de laine).
"D'habitude, il faut venir deux années de suite avec le même spectacle pour qu'il décolle. Cette année, en cinq jours, cela a pris", raconte Jean-Christophe Dollé, metteur en scène et comédien principal. La pièce fait salle comble au Théâtre Alizé et a attiré, en trois semaines, quelque 300 programmateurs. "Faire Avignon, pour une compagnie peu subventionnée comme la nôtre, est le seul moyen de vendre notre spectacle. Le "off" est une jungle, certes, mais dont on ne peut pas se passer", résume le jeune metteur en scène.
Pour cette création, tout a commencé "par hasard" ; par un copain qui dit un jour "Tu devrais lire ce bouquin de Jean Teulé". Ce roman, qui se déroule en août 1870 dans le Périgord, raconte comment de "braves gens" peuvent devenir des monstres d'inhumanité. Comment un jeune bourgeois qui se rend à la foire d'un petit village se retrouve, quelques heures plus tard, lynché, torturé et brûlé vif, pour de supposées paroles pro-prussiennes. "Au départ, je pensais que cela pouvait faire un très bon monologue, mais je ne voyais pas une pièce de théâtre. Je l'ai mis sous le coude et n'y ai plus pensé", se souvient Jean-Christophe Dollé. Mais cette histoire de folie ordinaire le "titille", parce qu'elle correspond à l'univers de ses précédents spectacles, à son "obsession" de "toucher du doigt les limites de la raison humaine". Alors il se dit qu'il ne faut pas "s'obstiner sur le contexte historique et amener une dimension contemporaine, un travail sur le son", afin que "la musique contamine la scène, telle la folie meurtrière qui s'empare de la foule".
CONTE TRAGIQUE ÉLECTRO-ROCK
Pour mener à bien ce projet, la compagnie dépose un dossier d'aide - "qu'on a peaufiné comme des fous" - auprès du conseil général des Yvelines. Et décroche une subvention. La troupe pourra alors travailler et répéter "dans de bonnes conditions" avec Mehdi Bourayou au piano et Laurent Guillet à la guitare, rencontrés sur la comédie musicale Le Soldat rose, de Louis Chedid. Avoir des musiciens sur scène, "le rêve ! ", lâche Jean-Christophe Dollé. Grâce au soutien de l'Adami et de la Spedidam, la compagnie se lance "sereinement" dans le "off". La qualité de l'affiche du spectacle, le tractage et le nom de Jean Teulé font le reste. L'auteur n'a pas encore vu la pièce mais a soutenu la troupe dans sa volonté de transformer son livre en conte tragique "électro-rock et culinaire".
Cette adaptation est un petit bijou de modernité et d'audace. Sur scène, une cuisine des années 1950, avec sa ménagère parfaite (Clotilde Morgiève) qui va "mitonner" et décortiquer les mots de cette chasse à l'homme, deux musiciens espiègles, et, au milieu, Jean-Christophe Dollé interprétant tous les personnages - victime, bourreaux, spectateurs - de cette effroyable affaire. Au fur et à mesure, le décor se désarticule, la cuisine devient table de torture et bûcher. Rien de gore, mais ce qu'il faut d'humour noir et de cynisme. Si cette pièce haletante prend aux tripes, c'est parce que ce fait divers de lâcheté incommensurable pourrait être de toutes les époques.
"Mangez-le Si Vous Voulez" : un titre qui met en appétit pour un spectacle savoureux
Avec Mangez-le si Vous Voulez, la Compagnie Fouic Théâtre s'empare d’un fait divers pour en faire un conte tragique, électro-rock et culinaire. Cette adaptation inventive et audacieuse du roman de Jean Teulé reprend le thème cher à la compagnie des limites de la raison humaine. En reprenant un fait réel advenu il y a moins de 150 ans en Dordogne, Mangez-le si Vous Voulez nous parle de la folie humaine en temps de crise, du besoin de bouc-émissaire, de lâcheté, de cruauté. Cette pièce nous offre une recette cynique des comportements humains provoqués par une foule aveugle… Et les échos avec la société contemporaine ne sont jamais loin…
Recette d’un conte tragique électro-rock et culinaire :
- 1 saladier de malentendu
- 4 kilos de déraison collective
- 3 cuillers de foule aveugle et meurtrière
- 1 zeste de cruauté revancharde
Vous découvrez un fait divers ahurissant qui a ébranlé Hautefaye en 1870, lors d’une foire de village annuelle qui aurait dû se dérouler de la façon la plus habituelle possible. Seulement voilà, sur fond de guerre contre l’Empire Prussien, de nationalisme, de peur pour les fils, les frères, les maris, les cousins partis au front, de crise économique, Alain de Monéys, l’ami d’enfance, le jeune ingénieur plein de projets et d’avenir du village voisin se voit calomnié, à tort, de paroles pro-prussiennes.
Tout dégénère alors : la tension accumulée par des mois de souffrance est allumée par des voix accusatrices de plus en plus virulentes qui se déploient en coups de plus en plus violents. C’est bientôt toute la foule qui se met à scander des insultes ignobles. Les « braves gens » se transforment en montres d’inhumanité et la folie humaine fait le reste et ce quiproquo finit en cannibalisme d’un homme que tous connaissaient et appréciaient. Il ne reste plus qu’à le « mangez si vous voulez ».
- 1 comédien endossant tous les rôles
- 1 ménagère exemplaire sortie des années 50
- 2 musiciens malicieux
- 1 pincée d’humour noir
Ajoutez cette mise en scène à ce conte cannibale et vous obtenez une réussite de théâtre contemporain qui sait mélanger l’intemporalité de la déraison humaine à la modernité d’une bande son créée sur scène en passant par le décor d’une cuisine des années 50. En effet, la mise en scène superpose les différentes époques avec une facilité et une pertinence explicites : la folie ordinaire peut surgir à tout moment, en tout lieu.
La mise en scène de « Mangez-le si vous voulez » est précise et efficace : d’un côté de la scène, une ménagère exemplaire (Clothilde Mogiève) mijote en direct un plat métaphorique. Elle décortique, hache, découpe, écrase, cuit sa nourriture comme la foule le fait d’Alain Moneys et comme le comédien le fait de ses mots. De l’autre côté, un pianiste (Laurent Guillet) et un guitariste (Mehdi Bourayou), complices de la foule, ponctuent le récit ; leurs interventions vocales et musicales exacerbent la tension et rendent palpable l’atmosphère oppressante de ce village qui une fois lancé dans cette folie meurtrière ne peut plus faire marche arrière. Ces trois témoins prennent un malin plaisir à accompagner le massacre mais par leurs décalages permettent en même temps au spectateur de prendre une distance qui retire l’éventuelle part de gore au spectacle et accentue l’humour noir.
Enfin, Jean-Chritophe Dollé, comédien principal, interprète remarquablement tous les rôles et passe de victime à bourreau, de simple témoin à opposant impuissant. La magie de la métamorphose vocale et corporelle et on voit tout à tour les personnages se succéder sur scène pour raconter l’histoire selon leur points de vue. Ils évoluent dans un décor mouvant qui accompagne l’ascension du récit jusqu’au moment ultime du bûcher dans un rythme haletant de fuite en avant.
Après son succès au Festival Off d’Avignon en 2013, on ne peut que souhaiter que « Mangez-le si Vous Voulez » rencontre de nombreux spectateurs parisiens !
"Mangez-le si vous voulez" sur la scène du Tristan Bernard
Catherine Pacary
C'est un roman de Jean Teulé sur une histoire de folie ordinaire. Comment les habitants normaux d'un village banal du Périgord se sont retrouvés, un jour d'août 1870, à lyncher, torturer, tuer un jeune bourgeois qui venait assister à la foire. Ce thème des « limites de la raison humaine » est une des obsessions de Jean-Chritophe Dollé, metteur en scène et acteur. Alors quand lit ce bouquin, il sait qu'il va en faire quelque chose. Il l'adapte, le transpose dans un contexte contemporain, et introduit – surtout – un son, une musique qui « contamine la scène comme la folie meurtrière s'empare de la foule ». Dès la première représentation à Avignon à l'été 2013, le succès est au rendez-vous. La pièce est maintenant reprise au Théâtre Tristan Bernard.
Succès du off d’Avignon 2013…
A Avignon en juillet dernier, les salles ne désemplissaient pas : Mangez-le si vous voulez, roman écrit par Jean Teulé en 2009, dans son adaptation théâtrale, fut un véritable succès. Cette pièce raconte l’histoire tragique de ce que les autorités ont appelé « L’affaire Hautefaye » : Alain de Monéys, habitant du village d’Hautefaye en Dordogne en 1870, en pleine guerre franco-allemande, est victime d’un malentendu. Les habitants de son village, qu’il connaît depuis toujours, le prennent soudainement pour un prussien, et le mettent à mort place public, jusqu’à manger ce qui restera du corps de leur voisin…
Inspiré d’une histoire vraie, le roman de Jean Teulé met en lumière cette tragédie méconnue du passé français. Sans doute un des plus honteux faits divers de l’histoire de France, le duo Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève réussissent à mettre en scène avec beaucoup d’agilité cette atrocité. Avec les mots de Teulé, empreints d’un humour noir cinglant, la mise en scène est ingénieuse et puissante. Nul ne peut sortir de la salle sans être profondément bouleversé par la cruauté d’un village envers un voisin. C'est profond, ingénieux, horrifiant... mais cependant drôle.
L’année commençant aussi par de sages résolutions je vous propose de fuir les régimes post agapes de rigueur et de manger. Oui, Mangez-le si vous voulez.
Ce titre bien étrange n’est autre que celui du récit de Jean Teulé (Editions Julliard, 2009) dont s’emparent Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève pour un spectacle de haute voltige. Parce qu’il faut du cran pour s’attaquer à une histoire si sordide (une foire de village tourne, pour un mot compris de travers, au lynchage collectif) et du courage pour narrer les pires atrocités commises (tortures, cannibalisme) sans jamais, je dis bien jamais, être sordide ou complaisant. Ils font bien pire : ils nous font rire et réfléchir.
A jardin, une cuisine des années 50, vive et colorée. A cour, deux musiciens en costard (Mehdi Bourayou, Laurent Guillet), duo de blues-brothers mi-dandy mi-mafieux. La musique accompagne tout le spectacle, elle le structure, le soutient, incarnant peu à peu la violence dont il sera question. Et puisque cette terrible histoire s’achève par un banquet, c’est en direct que Clotilde Morgiève, présence quasi muette mais O combien précieuse, s’affaire à la tâche (elle hache, découpe, mélange, fait frire…). Elle est la mère attentionnée, l’amoureuse protectrice autant que la Madame lambda, témoin du pire et complice par lâcheté. Elle dit peu mais tout son corps et son regard trahissent une gamme d’émotions infinies. Des plus douces aux plus terrifiantes.
Quant à Jean-Christophe Dollé, ce n’est pas compliqué : il est tout le reste ! Narrateur, héros malheureux (Alain de Monéys), ami horrifié ou bourreau sanguinaire. Passant de l’un à l’autre comme on claque des doigts, il nous happe et capte notre attention de plus en plus stupéfaite. Car c’est bien là toute la qualité du spectacle : évoquer la barbarie humaine sans alourdir le propos, dire des horreurs mine de rien, épingler la lâcheté en un regard. S’ajoutent à cela mille trouvailles sonores et visuelles (voire alimentaires : big up pour le pop-corn !) qui nous maintiennent à juste distance de ces faits historiques que l’on jurerait pourtant issus d’un conte délirant de Charles Perrault sous acide. Oui, on rit. Oui, on est effrayés. Jusqu’à l’émotion finale qui vous serre le coeur et mouille les yeux. Car l’histoire terrifiante d’Alain de Monéys a beau se passer en 1870, on sait à quel point elle peut se répéter. Aujourd’hui comme demain.
Courrez mes amis, courrez voir Mangez-le si vous voulez. Mais pensez à diner avant, on est jamais trop prudent…
Charlotte Lipinska
Nous sommes sortis déboussolés par cette pièce d’une incroyable originalité !
Ne sachant pas vraiment à quoi nous attendre, il a été ardu de rentrer dans l’histoire que nous contait le narrateur sur scène. Mais celui-ci se glisse avec beaucoup de talent dans la peau de différents personnages pour donner vie à son récit. Nous nous sommes donc peu à peu laissés porter par la folie des événements de ce fait historique haletant…
Tout est fait pour que le spectateur ne s’ennuie pas une seconde, avec des intermèdes musicaux très rock au synthé et à la guitare électrique. La mise en scène avant-gardiste, qui contraste avec une histoire surannée, en rebutera d’ailleurs certains.
Le puits sans fond d’artifices et de créativité rend la pièce plus drôle, plus cynique, plus émouvante mais tout reste assez conceptuel. Une femme potiche avec un sourire ultra-bright -à la manière des publicités Moulinex pendant les 30 glorieuses- cuisine à côté du narrateur pendant qu'il parle. Elle assaisonne ses propos tantôt d'une touche d’humour, tantôt d'une touche dramatique.
Déroutant, « Mangez-le si vous voulez » s’adresse donc plutôt à un public averti qui va souvent au théâtre. L’histoire sordide d’Alain le bouc émissaire pousse à réfléchir sur la cruauté de l'espèce humaine, l’absurdité des mouvements de foule et les causes de la barbarie…
Une tuerie
Cette création du Fouic Théâtre ! D'abord parce qu'elle parle obsessionnellement, universellement, de barbarie. Ensuite parce qu'elle ose la forme d'un conte tragique électro-rock accueilli par une avalanche de superlatifs au dernier Festival d'Avignon off. Pour qui goûte sa verve crue, chaque rendez-vous avec Jean Teulé est un régal. Ladaptation de ce roman en témoigne : la féconde singularité de sa plume, sans cesse titillée par la folie des hommes, fait encore des étincelles. Tiré d'un fait divers - l'un des plus honteux de l'histoire de France -, l'argument sidère. Août 1870 : un homme aimé de tous se rend à la foire de Hautefaye (Dordogne). Deux heures après, il est torturé, lynché, brûlé vif… puis boulotté ! Par des fous sanguinaires sans cervelle ? Non, par ses amis, ses voisins.
Pourquoi cette déferlante de haine ? Prenez un malentendu, mettez-le dans un chaudron social et politique explosif sur fond de guerre contre l'Empire prussien, faites monter la sauce. Le brouet est amer mais ne manque pas de sel car il y a là une précision d'horloger suisse, une vélocité insensée et un sens aiguisé du décalage. Atroces ("Les têtes de fémur sont délogées de leur cavité"). les tortures dessinent un retour à l'état primitif qui voit Alain de Moneys succomber après une pendaison, une crucifixion et un écartèlement manqués…
La réussite de cette macabre cérémonie culinaire s'appuie aussi sur la capacité des deux comédiens à investir cet univers cartoonesque pour le dynamiter. Protéiforme, Jean-Christophe Dollé nous cueille en croquant tous les personnages ; à ses côtés, Clotilde Morgiève impose une formidable présence en pimpante cuisinière malgré un rôle quasi muet. Les musiciens Mehdi Bourayou (piano) et Laurent Guillet (guitare) galvanisent le plateau tandis que le décor so fifties se disloque, transformant la cuisine bien proprette en un champ de bataille horrifique. On en sort sonné et épaté par ce talent… monstre.
M.H.
Chasse à l'homme
Jean-Christophe Dollé nous avait habitués à des spectacles de son cru, tous insolites et percutants : Blue.fr, Abilifaie Leponaix… Cette fois, il s’empare, avec son indéfectible complice Clotilde Morgiève, d’un récit de Jean Teulé, Mangez-le si vous voulez, trouvant une nouvelle source d’inspiration qui se mêle admirablement à la sienne. Teulé, dans ce livre, a étudié et relaté un fait divers terrifiant. En 1870, dans un village de Dordogne, un jeune savant joue avec les mots et passe pour un anti-français, un pro-prussien, car on n’a pas compris le deuxième degré de son expression. Lui qui était un bienfaiteur de sa commune a beau protester, multiplier les arguments : il n’aime que son pays, il vient même de s’engager alors qu’il avait été exempté. Il devient l’homme à abattre. Un ennemi. Un traître. L’on est en pleine fête populaire et la colère prend feu. Même ses amis d’enfance le houspillent, le rejettent, le menacent, lui jettent leur haine au visage. Le curé tente d’empêcher ce déchaînement de haine folle, mais en servant de l’alcool. La violence reprend de plus belle. Pourrait-il échapper au massacre ? L’appel au meurtre et même au cannibalisme enthousiasme tous les villageois, enfants compris, à une exception près… Plus tard, les coupables seront condamnés à de lourdes peines.
La pièce se déroule devant un décor de cuisine des plus tocards (les meubles – à dominante rose ! - ont été trafiqués pour permettre quelques effets et des troubles de la perception). D’ailleurs, Clotilde Morgiève fait un peu la cuisine. Ça sent bon la France ! La France villageoise, popote et nationaliste ! Entre Jean-Christophe Dollé, chapeau sur la tête, guitare sous le bras. Il se lance dans son récit, comme on court, comme on sprinte, comme on crie. La musique, qui a des moments rock, se déchaîne. Clotilde Morgiève place quelques gags, quelque numéros de charme parodiques. Mais le texte est lancé comme un train qui ne s’arrêtera que lorsqu’il n’y aura plus de rails. Dollé conte épisode après épisode, sans prendre de souffle, ou si peu. Il parle, il chante. C’est souvent drôle, et de plus en plus terrifiant : une chasse à l’homme, un voyage dans la cruauté la plus obscure. La mise en scène change les perspectives : Dollé disparaît et réapparaît à travers des caches et des angles imprévus. Les musiciens entrent dans le texte et l’action furtivement, parlent un peu. Mais leurs instruments grondent. Ça cogne, cogne, cogne et re-cogne ! Cela ressemble à une visite de l’enfer. L’enfer en France, chez les "braves gens".
La scène est haute, en aplomb. Dollé ignore le vertige. Il monte au sommet d’un meuble. Il s’envole même suspendu à une enseigne lumineuse qui vient d’apparaître on ne sait comment. Sur le sommet du meuble, puis retenu dans l’air par un fil invisible, il continue, comme rendu fou par la folie qu’il conte et dénonce. Puis tout, soudain, tout a été dit. Jean-Christophe Dollé a été stupéfiant, trouvant la violence moderne du chœur antique.
Gilles Costaz
MANGEZ-LE SI VOUS VOULEZ - on n'en perd pas une miette
Côté jardin, une cuisine avec l’équipement suffisant pour découper, dépecer, farcir, cuire, avec aux fourneaux une cuisinière appétissante ; côté cour, deux musicos, visages fermés, mines patibulaires, costumes sombres façon videurs ; au centre face public, un homme seul, élégant style bobo, la besace en bandoulière, une allure de freluquet. On le sait, on le sent, quelque chose va mal se passer.
On est le 16 août 1870, en pleine guerre contre la Prusse. Alain de Monéys, le jeune homme à la besace est le fils de l’ancien maire de Beaussac en Dordogne et il gère le domaine de Brétanges entre Beaussac et Hautefaye. Exempté des obligations militaires, à cause de sa constitution malingre, il se rend à Hautefaye justement. Et ce 16 août, il y a la foire au village. Son cousin annonce le recul des troupes françaises. Mal compris par la foule, on l’accuse d’être prussien. Alain de Monéys prend sa défense "Ce n’est pas comme s’il avait dit : à bas la France"… "Attends, tu as dit quoi ? A bas la France ? Tu as dit A bas la France, il a dit A bas la France !!! " Voilà que commence un lynchage. Une foule de 600 personnes venue faire la fête dans un village qui n’en contient pas plus de 40 et qui va se déchaîner sans répit sur un enfant du pays. Parce que les meneurs connaissent Alain de Monéys, ils ont même grandi avec lui, joué avec lui…
Adaptée du roman de Jean Teulé paru en 2010 et qui raconte ce fait divers historique, la pièce décuple l’imaginaire du public. Rien n’est jamais montré, mais tout est dit. Pendant qu’Alain de Monéys se fait écarteler chez le maréchal-ferrand, les pop corn crépitent dans la casserole ; le rythme haletant du spectacle, l’innocence de l’interprète qui raconte sans commenter, l’absence d’émoi des comédiens rendent l’affaire encore plus réelle et immédiate. On vit le crime en temps réel, c'est cruel et révoltant. Dans le genre, le spectacle atteint la perfection. Mais attention, à déconseiller aux âmes sensibles, aux enfants et même aux adolescents.
Hélène Chevrier
Autant vous prévenir, "Mangez-le si vous voulez" n'est pas une pièce rose-bonbon. C'est une histoire vraie et insoutenable interprétée de manière magnifique. C'était LA pièce à voir l'été dernier au Festival d'Avignon. C'est LA pièce à voir cette année à Paris.
État de sortie : soufflé.
Elle fait frémir cette histoire survenue en 1870 à la foire annuelle de Hautefaye dans le Périgord. Comment peut-on en arriver là ? Juste pour un mot mal interprété, Alain de Monéys va connaître la vindicte populaire. Pris dans une espèce de folie collective, des habitants "bien sous tous rapports" vont lyncher, brûler vif et manger cet homme qu’ils ont désigné comme traître, comme Prussien. Pourtant ce garçon n’était pas un inconnu. Il était leur ami d’enfance, leur voisin… Une seule âme ne cessera de le leur rappeler, en vain. Jean Teulé s’est inspiré d’un des faits divers les plus sordides de notre histoire pour dénoncer jusqu’où l’humain peut aller dans la barbarie, pour cause d’ignorance, de bêtise, de lâcheté, de peur… Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève se sont emparés de ce texte avec "gourmandise" pour nous offrir un spectacle bouleversant et surtout très original. Ils ont éclaté l’espace-temps pour mieux souligner l’intemporalité, l’universalité de l’histoire. Dans son habit contemporain chic, à la fois dandy et gitan, Dollé est le narrateur, exposant les faits, la montée tragique des événements. Cette distance donne finalement beaucoup de relief au texte. Il se promène entre deux univers. A gauche de la scène, on peut admirer une cuisine typique des années 1950 - époque des Trente Glorieuses où tout allait bien dans un monde sortant de la guerre - dans laquelle sévit une cuisinière kitschissime, figure maternelle apaisante qui devient monstre. Clotilde Morgiève est impeccable dans ce personnage décalé. Elle est aussi émouvante dans celui de la fiancée. A droite de la scène, deux musiciens, très "Blues brothers", Mehdi Bourayou et Laurent Guillet, accompagnent la narration d’une partition musicale rock et de petits commentaires. Plus l’histoire avance et plus le décor d’Adeline Caron et Nicolas Brisset se disloque. On sort de ce spectacle broyé par le rouleau compresseur des émotions.
Marie-Céline Nivière
"Alain de Monéys était leur ami d’enfance, leur voisin et en ce beau jour d’été, ils l’ont mangé !". C’est ce fait divers historique qui a eu lieu le 16 Aôut 1870, appelé "l’affaire de Hautefaye" ou "drame de Hautefaye", que raconte Jean Teulé dans son livre "Mangez-le si vous voulez". L’adaptation pour le théâtre qu’en ont fait Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève est une réussite totale pendant laquelle les spectateurs captivés du théâtre Tristan Bernard retiennent leur souffle en attendant le dénouement macabre.
Le pari n’était pas évident : raconter en une heure et demie le calvaire d’un homme pris à partie par une foule devenue sanguinaire qui l’accuse d’être un Prussien et mettre en scène la barbarie dont sont capables les communs des mortels. C’est à travers un parti pris original que les metteurs en scène y sont arrivés : faire cohabiter sur scène un narrateur qui endosse les rôles des divers personnages masculins avec brio, une jeune femme des années 50 qui oscille entre la figure rassurante de la mère de famille et celle inquiétante d’une femme assoiffée de sang et deux musiciens rock qui s’occupent de l’ambiance musicale.
Dès le début de la pièce le public se prend d’affection pour le héros, Alain de Monéys, un homme bon et courageux qui travaille pour la communauté sur un projet d’assainissement des eaux et qui s’est engagé dans l’armée pour aller combattre les prussiens alors qu’une légère boiterie lui permettait d’être réformé.
Pendant une heure et demie, nous tremblons devant le crime dont nous sommes témoin, entièrement transporté par ce qui se passe sur scène. Tout comme le héros, qui va subir les pires supplices, le décor se désarticule petit à petit au cours du récit. La musique rock contamine l’ensemble de la scène, telle la folie meurtrière qui s’empare de la foule et à laquelle le public assiste, impuissant. La pièce propose une réflexion sur la marge, l’exclusion, le conformisme et sur le monstre en chacun de nous.
A voir absolument ! Réservez vos places
Mangez-le si vous voulez, le livre de Jean Teulé, est actuellement adapté en pièce sur la scène du Théâtre Tristan Bernard.
Durant 1h30, Jean-Christophe Dollé nous fait revivre la journée fatale qu’a vécu Alain de Monéys en 1870. Ce jeune aristocrate a été pris pour un prussien à la suite d’une expression mal comprise.
Les gens de son village, amis y compris, lui ont alors fait subir les pires atrocités jusqu’à le bruler vif et se partager les morceaux cuits pour les manger.
Le sujet est très lourd, et le comédien donne vie au texte avec une grande passion. Il interprète tous les personnages, changeant de voix ou de postures à un rythme soutenu, il ne bute sur aucun mot et il grimpe partout sur le décor. C’est véritablement une performance à saluer.
Sur scène, il à a ses côtés Clotilde Morgiève qui incarne tantôt une cuisinière préparant des petits plats, tantôt un personnage de l’histoire, et les musiciens Mehdi Bourayou (claviers) et Laurent Guillet (guitare).
La mise en scène, signée des deux comédiens, est notre seul petit bémol, le choix de la cuisinière est très surprenant et nous seront ravi de pouvoir en discuter avec l’acteur dans peu de temps.
Une fois la « surprise » passée, vous entrerez dans la prestation de Jean-Christophe et ne verrez pas le temps passer jusqu’au moment d’applaudir à tout rompre.
Trois questions à Jean-Christophe Dollé
Succès du dernier Festival off d'Avignon, Mangez-le si vous voulez s'installe à Paris. Plein d'audace et de modernité, cette pièce haletante adaptée du roman de Jean Teulé raconte un terrible fait divers du XIXe siècle.
Qu'est-ce qui vous a poussé à adapter ce livre ?
Cette histoire terrible – la mise à mort d'un jeune homme par des villageois qui en viendront à manger ce qui restera de son corps –, a quelque chose d'intemporel. Souvenez-vous de ce qui s'est passé à Madagascar en octobre dernier : une folle rumeur a abouti au lynchage de trois hommes par une foule en colère. C'est hallucinant à quel point ce fait divers atroce est semblable à celui de 1870 raconté par Jean Teulé. De tout temps, l'espèce humaine a eu ses abîmes et peut basculer dans la sauvagerie. Toucher du doigt les limites de la raison humaine m'obsède. Le bouc émissaire, c'est dans la cour de récré qu'on en trouve les prémices. Adolescent, il m'est arrivé d'être la tête de Turc. J'ai passé des moments cauchemardesques. Cette époque m'a forgé.
Une cuisine des années 1950 pour décor, deux musiciens sur scène… Pourquoi ce choix d'un spectacle electro-rock et culinaire ?
Face à ce récit horrible, il fallait une prise de distance et un parti pris esthétique pour faire partager l'humour noir de Jean Teulé. La ménagère dans sa cuisine symbolise l'insouciance de "Mme Tout-le-Monde". Quant à la musique, elle fait surgir la violence, la folie meurtrière de la foule.
Vous avez réalisé la mise en scène avec Clotilde Morgiève, comment travaillez-vous ensemble ?
Nous nous connaissons depuis vingt ans et avons fondé la compagnie Fouic Théâtre. Nous aimons beaucoup, à partir d'un texte, réfléchir sur une maquette de décor, chercher des images. Clotilde est plus attachée à l'esthétique visuelle, à la scénographie, et moi davantage à l'esthétique sonore et à la direction d'acteurs. Nous sommes complémentaires.
Propos recueillis par Sandrine Blanchard.
Une pièce époustouflante, et une performance de Jean-Christophe DOLLE. C'est tellement saisissant que cinq ou six personnes, à l'orchestre où je me trouvais, se sont précipitées pour quitter la salle !!!
D'habitude, dans ce cas, c'est souvent totalement nul, et quand on tient bon, on attend vite la fin.
Mais là, cette fuite empressée doit être prise comme un compliment pour les artistes. La narration est si réaliste, qu'elle peut effrayer des sensibilités.
J'ai vu deux de ces fuyards, revenir à la fin et applaudir avec chaleur. Leurs sacs et manteaux étaient restés sur leurs fauteuils.
Clotilde MORGIEVE est démoniaque et diabolique à souhait, elle a participé à la mise en scène avec Jean-Christophe Dollé. Ils ont tous les deux, un grand talent.
Que de trouvailles dans la mise en scène !!! Et une partition sonore de Fabien AUMENIER, interprétée par Medhi BOURAYOU au clavier et Laurent GUILLET à la guitare.
Les lumières sont de Caroline Gicquel, la chorégraphie de Magali B. La scénographie: Adeline Caron et Nicolas Brisset, avec une voix "off" de Hervé Furic.
C'est une adaptation du livre de Jean Teulé, du même titre. (Editions Julliard)
Ne mangez pas avant… Et attendez pour dîner après, vous n'en ressortirez pas indemne, mais quel GRAND SPECTACLE !!!
Je n'avais jamais vu une file d'attente aussi longue devant le Théâtre Tristan-Bernard, et pourtant le personnel de salle est très efficace, il faut le saluer, il n'en n'est de même partout…
Malgré cette affluence record, le rideau s'est levé à 21H07. (pour 21H00)
A NE PAS MANQUER !!!
Comédie dramatique d'après le roman éponyme de Jean Teulé.
Mise en scène de Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève, avec Jean-Christophe Dollé, Clotilde Morgiève, Mehdi Bourayou et Laurent Guillet.
Après le très prometteur "Blue.fr" avec lequel on les avait découvert et le remarquable "Abilifaïe Léponaix", le Fouic théâtre revient avec cette adaptation brillantissime de "Mangez-le si vous voulez", le roman de Jean Teulé dont Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé proposent une version remarquablement aboutie, inventive, au rythme soutenu qui monte en puissance pour nous offrir un final inoubliable de force et d’émotion.
La descente aux enfers d’Alain de Monéys pris pour un prussien en août 1870 dans le petit village de Hautefaye en plein guerre franco-allemande est raconté avec une langue aussi truculente que poétique par un auteur qui s’est fait une spécialité de raconter l’histoire en maniant l’humour noir et la prose cru. Le plus terrible est que le texte de Jean Teulé, est écrit à partir d’un fait réel survenu quasiment tel qu’il est raconté, les personnages étant les vrais protagonistes de ce drame absurde.
Il fallait beaucoup de talent pour arriver à présenter sur scène ce calvaire quasiment insoutenable. Sans occulter le côté trash du roman de Teulé, le Fouic théâtre qui n’a pas son pareil pour fabriquer une ambiance visuelle et sonore, avec son savoir-faire et sa créativité nous en propose une mise en scène éblouissante aux effets judicieux, mis en valeur notamment par la formidable scénographie d’Adeline Caron et Nicolas Brisset : une cuisine dont les éléments se séparent et s’assemblent et dont les tiroirs coulissent tels dans une boîte de magicien.
Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé, bien épaulés par Mehdi Bourayou et Laurent Guillet, excellents musiciens qui participent à la narration, mélangent l’énergie et l’humour pour transcender cette farce horrible et en faire un poème d’amour sublime.
Clotilde Morgiève, dont on ne dira jamais assez l’excellente comédienne qu’elle est, parvient en quelques regards et expressions à nous retourner le cœur. Sa présence et sa justesse nous rendent toutes ses interventions percutantes et marquantes.
Quant à Jean-Christophe Dollé, il nous offre une galerie savoureuse de personnages et porte ce cauchemar "lynchien" et "tarantinesque" de sa flamme naïve et d’où naît une profonde humanité.
On n’oubliera pas de sitôt ce lynchage relaté en détail où la barbarie des hommes, leur facilité à prendre un bouc émissaire, aveugle de toute sa bêtise.
"Mangez-le si vous voulez" est un grand spectacle en tous points parfait dont on ne peut que s’enthousiasmer.
Nicolas Arnstam
La pièce de la semaine
AOUT 1870. UNE FOIRE DE VILLAGE A HAUTEFAYE, EN DORDOGNE. En pleine guerre franco-allemande, un villageois, pris pour un Prussien pour quelques mots de travers, sera lynché, brûlé et en partie mangé par ses voisins. L'histoire est avérée. Mais pourquoi aller voir sur scène se jouer la barbarie terrifiante de "braves gens" ordinaires ?
Parce que le roman de Jean Teulé, stupéfiant récit de ce fait divers, est fidèlement retranscrit et adapté avec une modernité folle et un art du décalage consommé. Parce que Jean-Christophe Dollé campe avec force la victime, ses bourreaux et les témoins du drame. Parce que la mise en scène, enfin, foisonne de trouvailles. Deux musiciens chanteurs en costard cintré rythment la descente aux enfers du héros de leurs mélodies décalées, électro-rock. Dans une cuisine rose et vert pastel tout droit sortie d'une réclame des années 50, une ménagère blonde aux allures de poupée mitonne, aux petits oignons, les mots et les aliments…
jusqu'aux rognons du martyr ! Noir, c'est noir.
NEDJMA VAN EGMOND
Dordogne : une pièce de théâtre, à Paris, inspirée du crime de Hautefaye
"Mangez-le si vous voulez", le livre de Jean Teulé, a été adapté et est joué au théâtre Tristan-Bernard
L'auteur Jean Teulé a romancé le fait divers barbare, qui est arrivé en Dordogne au XIXe siècle. C'est devenu une pièce de théâtre.
Dans son livre, "Mangez-le si vous voulez", sorti en 2009, l'auteur Jean Teulé retrace, avec humour noir et esprit décalé, un fait divers qui s'est déroulé en 1870 à Hautefaye, en Dordogne, dans le Nontronnais, à la limite de la Charente.
Le jeune Périgourdin Alain Romuald de Monéys d'Ordières s'est rendu à la foire de Hautefaye. Deux heures après son arrivée, il a vu la foule devenir folle, le rouer de coups, le torturer, le brûler vif et même le manger. Ce calvaire constitue l'une des anecdotes les plus honteuses de l'histoire du XIXe siècle en France.
L'ouvrage a été adapté et la pièce est jouée à Paris au théâtre Tristan-Bernard (dans le 8e arrondissement), depuis la mi-janvier. L'affiche montre le bras d'un squelette qui tient une pomme... Le synopsis est éloquent : "C'était leur ami d'enfance, leur voisin, et en ce beau jour d'été, ils l'ont mangé !"
Dans un décor de cuisine, Jean-Christophe Dollé livre une belle performance, incarnant tour à tour chacun des personnages de cette farce absurde. Le comédien n'est pas seul sur scène. Il est accompagné par Clotilde Morgiève. Cette dernière a deux rôles : l'un muet dans lequel elle cuisine, et l'autre où elle interprète l'amoureuse du héros.
Déjanté, ce dîner
On se demandait franchement comment. Comment adapter au théâtre "Mangez-le si vous voulez", un récit de Jean Teulé (Ed. Julliard) s'inspirant d'un ahurissant fait divers survenu en 1870 dans un village du Périgord. Un brave jeune homme, Alain de Monéys, ami avec tout le monde, concerné par le bien-être de son village, se retrouve frappé, torturé, brûlé et mangé par ceux-là même qui l'embrassaient la veille comme du bon pain. Tout cela pour un mot mal compris, dans une atmosphère empoisonnée par la guerre contre les Prussiens. A la rigueur, on imaginait une lecture, très à la mode en ce moment.
C'était sans compter ce feu d'artifice d'intelligence et d'idées allumé par Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé, metteurs en scène, également acteurs, de ce drame accompagné aux claviers par Mehdi Bouray ou et à la guitare par Laurent Guillet. La musique ne compte en effet pas pour rien dans le rythme de ce spectacle promis à de beaux horizons et au-delà. Que Clotilde, sexy icône publicitaire de la ménagère des années 1970 (parfaite chanteuse), mitonne son petit ragoût au regard de l'horreur qui se joue : voilà la première bonne idée. Que l'un des musiciens parvienne à faufiler une touche d'humour dans ce désastre humain, voici l'autre. Que les éléments de décor aboutissent à nourrir, selon leur utilisation et leur symbolique, une pétillante mécanique d'invention, c'est la troisième.
Faut-il un quatrième argument? TI se nomme Jean-Christophe Dollé et endosse, à la Philippe Caubère, tous les visages de ce lâchage et de ce lynchage : du maire au curé en passant par les amis qui ont subitement oublié d'en être. Sa performance est sans faille autant que digeste. Elle nous rappelle combien la foule, celle d'hier comme celle d'aujourd'hui, peut avoir la mâchoire du monstre.
PIERRE VAVASSEUR
Drame de la condition humaine et de sa folie ordinaire dont les périodes de crises ressuscitent la bête immonde…
Dans son livre « Mangez-le si vous voulez » (Editions Julliard, 2009), Jean Teulé retrace, avec l’humour noir et l’esprit foutraque qu’on lui connait, un événement sordide et méconnu, datant de 1870, qui constitue l’un des faits divers les plus troublants de l’Histoire de France.
Sur un malentendu, un jeune homme est livré à la vindicte populaire et se retrouve lynché, brûlé vif et même mangé ou comment la barbarie à visage humain sous l’emprise d’une hystérie collective se met en branle. L’adaptation théâtrale de Clotilde Morgiève & Jean-Christophe Dollé, risquée mais réussie, décortique cette mise à mort, à mal de la déraison en un conte électro-rock culinaire aussi copieux qu’énergique où la dérision assumée en assure la distance nécessaire tout en soulignant son universalité.
Le mardi 16 août 1870, Alain de Monéys, jeune Périgourdin intelligent et aimable, sort du domicile de ses parents pour se rendre à la foire de Hautefaye, le village voisin. Il arrive à destination à quatorze heures. Deux heures plus tard, la foule devenue incontrôlable n’en aura fait qu’une bouchée après l’avoir patiemment torturé. Au prétexte d’une phrase mal interprétée et d’une accusation d’espionnage totalement infondée, un village tout entier représentatif de toutes les lâchetés et de toutes les frustrations va faire d’un homme un bouc émissaire et une proie expiatoire, sacrifiée sur l’autel du phénomène de masse.
Dans un décor de cuisine métaphorique, la ménagère (Clotilde Morgiève), parfaite observatrice, est en permanence sur scène, cuillère en bois à la main et casseroles sur le feu, initiatrice silencieuse et donc complice de la recette qui se joue sous nos yeux. Figure maternelle conformiste par excellence elle deviendra successivement amante protectrice puis monstre cruel, cuisinant avec délectation les restes du supplicié. Tandis que Jean-Christophe Dollé endosse tous les autres rôles : le narrateur, la victime, ses bourreaux avec une aisance remarquable et une grande homogénéité grâce à une voix et une gestuelle qui se métamorphosent pour caractériser chacun des personnages.
L’adaptation théâtrale de Clotilde Morgiève & Jean-Christophe Dollé risquée mais réussie, décortique cette mise à mort, à mal de la déraison en un conte électro-rock culinaire aussi copieux qu’énergique
La musique (Laurent Guillet et Mehdi Bourayou), omniprésente, fait partie intégrante du spectacle dont elle incarne à la fois la violence et la résonance du déchainement meurtrier. Les sons de batterie deviennent des coups de poings et inversement les coups se font musicaux. Puis tout devient instrumental à l’instar du ronflement d’un robot ménager, d’un bruit de déglutition, d’un fracas d’une boîte d’œufs ou encore d’une porte de placard qui claque.
C’est cruel mais aussi poétique et obsédant où s’interroge sans relâche la part d’ombre qui coexiste dans chaque homme, porté par une mise en scène aussi habile qu’inattendue.
TT On aime beaucoup
Jean Teulé développe dans son roman une vision très noire de l'humanité. Il relate un terrible fait divers où les forces les plus obscures se déchaînent dès que les circonstances s'y prêtent. Un homme sort de chez lui pour se rendre à la foire du village. Là, les paysans, pourtant des amis d'enfance, voient en lui, en pleine guerre de 1870, un Prussien ou un antifrançais. Rendus fous par l'alcool, la misère, la haine, ils le lynchent, le torturent, le brûlent, le mangent. L'adaptation théâtrale est captivante et inventive. La violence barbare est exprimée par les gestes d'une femme, image de réclame des années 50, qui, dans sa cuisine, coupe, déchire des aliments et en brûle les graisses. Jean-Christophe Dolle et Clotilde Morgiève interprètent tous les personnages avec une certaine ironie. Ils sont épatants.
Sylviane Bernard-Gresh
Cette pièce, tirée d'un roman de Jean Teulé,
est inspirée d'une histoire vraie déterrée par l'historien Alain Corbin. Ce n'est pas une précision inutile. D'ailleurs, ce n'est pas une précision, c'est un martellement. C'est une histoire vraie. Cette chasse à l'homme a réellement eu lieu. il y a moins d'un siècle et demi. Hier. Une dernière fois : c'est une histoire vraie. Voilà, personne ne pourra oublier que seul l'homme est capable de choses aussi inhumaines. L'histoire ? Eté 1870, dans un petit village de Dordogne. Alain de Moneys, jeune garçon de bonne famille, élu au conseil municipal, réformé pour cause d'infirmité mais engagé volontaire, est venu se mêler à la fête. Il salue les villageois. Il a un petit mot gentil pour tous. Et tous ont pour lui une sympathie sincère. Il faut dire qu'il travaille à l' assainissement des eaux. Il faut dire qu'il n'a pas profité de son statut pour fuir les combats. C'est un homme bien. Mais par un étrange concours de circonstances, on commence à lui prêter des propos qu'il n'a pas tenus. On le soupçonne d'être un prussien. Non, on l'affirme. C'est un traître. Et voilà tout un village qui se rue sur le malheureux pour le rouer de coups, le poursuivre, le torturer. Hommes, femmes et enfants vont laisser s'exprimer sur lui leurs pires instincts. La rumeur et la frustration aveuglent tout le monde, ou presque. Les bourreaux restent sourds aux quelques voix discordantes qui tentent de les ramener à la raison. Oubliant même qui ils sont en train de réduire à néant, ils vont finir par le brûler et par le manger.
Pour reconstituer toute l'horreur de cette histoire sur la scène du Tristan Bernard, il a fallu à Jean-Christophe Dollé et à Clotilde Morgiève, qui signent la mise en scène, beaucoup d'inventivité. Intelligemment, ils ont privilégié la forme d'un récit, avec un narrateur (Jean-Christophe Dollé) qui raconte et joue tous les rôles. On sort de la pièce le souffle court. Avec cette phrase de Victor Hugo qui cogne dans nos têtes : "La foule est l'ennemi du peuple".
Nicolas Roux
Coup de cœur
A se lyncher les babines
Fouillant dans les poubelles de l'Histoire, l'écrivain Jean Teulé y a puisé un immonde fait divers datant de 1870 dont il s'est fait un plaisir sadique de faire un livre (éd. Julliard). adapté aujourd'hui par Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé pour la scène. Nous sommes à Hautefaye. en Dordogne, durant la fête du village. La chaleur du mois d'août et la gnôle aidant. la population va s'en prendre hystériquement à l'un des siens. traité de sale Prussien. Au bout d'une longue journée de tortures en tout genre, le pauvre innocent finira rôti et bouffé par une foule en délire… Cuisinée de manière décalée et énergique, cette pièce décapante, servie avec une délicieuse sauce musicale jouée en live (Mehdi Bourayou et Laurent Guillet), marie la saveur du conte à la théâtralité la plus inventive.
Diaboliquement interprété par ces mêmes Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé, ce spectacle choc risque de vous couper l'appétit tout en vous donnant une sacrée soif de théâtre !
Alain Spira
SOUS LE CHOC
Ce 16 août 1870, malgré la guerre contre la Prusse. l'ambiance est à la fête, à l'occasion de la foire de Hautefaye. Pourtant, il suffira d'un mot mal interprété pour qu'une folie meurtrière s'empare des villageois. Avant le soir, ils auront lynché. brûlé et mangé leur voisin et ami Alain de Monéys.
Jean Teulé avait fait de cette histoire vraie un roman, Mangez-le si vous voulez (Julliard). Sur la scène du théâtre Tristan Bernard, ClotiIde Morgrève et Jean-Christophe Dollé paviennent à leur tour à transmettre l'insoutenable, grâce à leur mise en scène bluffante et à leur performance exceptionnelle.
VB
Un jour d'août 1870, dans un petit village de Dordogne, un brave jeune homme, aimable avec tout le monde et soucieux du bien-être de sa communauté, se retrouve torturé, mis à mort et même mangé par des habitants qu'il connaît bien. Des gens simples devenus fous après un mot mal interprété au beau milieu d'une guerre avec la Prusse qui échauffe les esprits. Il fallait d'ailleurs un bon grain de folie et une sacrée audace pour adapter sur scène le roman de Jean Teulé (Éd. Julliard) inspiré d'un fait divers. Grâce à une mise en scène ingénieuse et à une énergie bluffante, Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé, également acteurs caméléons, réussissent à rendre toute l'horreur de la situation en jonglant avec le burlesque et l'absurde.
B.T.
Beaucoup d’incertitudes planent sur la date de la prochaine cérémonie des Molières. C'est tout à fait regrettable car beaucoup de talents et de pièces méritent qu'on les récompense.
Privés de ce moment gratifiant de reconnaissance par leurs pairs, on imagine la détresse de certains acteurs, auteurs, metteurs en scène, jaloux de ceux qui avaient au moins la chance de pouvoir être nominés, de ressentir cette pression à l'ouverture de l'enveloppe…
La Communauté et la rédaction d'Aubalcon.fr ne pouvaient pas rester impassibles face à cette situation !
Nous avons souhaité faire honneur aux pièces vues depuis le début de la saison théâtrale, du privé au public, des petits théâtres, dans lesquels on entend les bruits du bar d’à côté aux grands théâtres pleins d’histoire. Nous avons eu quelques bonnes surprises, vu des petites pépites, découvert des acteurs, des auteurs, et des mises en scène admirables.
ORATEUR D'un ton solennel - "L'heure est venue d’attribuer nos 15 mini-Molières. Toutes sont des pièces qui sortent du lot et valent le détour !"
…MINI-MOLIÈRE DE LA PLUS BELLE MISE EN SCÈNE :
MANGEZ-LE SI VOUS VOULEZ
Glauque, sordide, un peu décalée, cette pièce à l’histoire lourde est rendue plus légère grâce à une mise en scène astucieuse, remplie de petites trouvailles.
L'HORREUR ORDINAIRE
Une foule devient folle au point de lyncher :
l'adaptation inspirée d'un roman de jean Teulé.
QUOI ? Une adaptation virtuose du livre de Jean Teulé sur un fait divers historique, survenu en Dordogne durant la guerre de 1870. Avant de partir au front, un jeune villageois apprécié se rend à la foire annuelle. Une phrase sortie de son contexte et le voilà pris à parti par voisins et amis, accusé d'être pro-Prussiens. La haine collective rampe, la violence fermente et la barbarie jaillit…
QUI ? Un duo de metteurs en scène et comédiens complémentaires, cofondateurs de la. compagnie Fouie Théâtre. A jean-Christophe Dollé, la parole, non-stop (il interprète la victime et les bourreaux) ; à Clotilde Morgiève, un rôle quasi muet mais pluriel (la mère, la mégère, l'aimée…) et d'un symbolisme puissant. A leurs côtés, deux musiciens impriment au récit de saisissantes vibrations.
POURQUOI ? Pour sonder le mystère de cette folie incontrôlée qui parfois s'empare d'une communauté. De la foule qui exécute de supposés collabos à la Libération au lynchage de touristes innocents à Madagascar, les exemples se multiplient…
COMMENT ? En sortant l'événement de son carcan pour en souligner l'intemporalité. Un décor modulable ; des costumes tout en contrastes (une comédienne au look 50s, des musiciens très "Men In Black", un narrateur au costume mi-rustique, mi-dandy), des riffs électro-rock menaçants ou des airs de comptines enfantines sur lesquels les acteurs fredonnent des horreurs ; une cuisinière au coup de hachoir éloquent… La pièce fourmille de trouvailles scéniques qui produisent des effets très spéciaux sur le spectateur. Le laissant pétrifié d'émotion et d'admiration.
S.Be.
Le fait divers a vraiment eu lieu, à Hautefaye, Dordogne, en 1870. Alain de Moneys, jeune homme apprécié de tous, est lynché par une foule en colère. Son crime? Alors que le pays combat la Prusse, avoir crié « À bas la France! » C'est ce que tout le monde croit avoir entendu. La pièce, adaptation du livre de Jean Teulé, décrit l'engrenage de folie aveugle et de violence collective qui aboutit à un massacre. Pétrifiant. A. L. D.
Bon appétit
À l’annonce de la débâcle de l’armée française face aux Prussiens et sur la foi d’une folle rumeur, un garçon est accusé de trahison, lynché et même un peu bouffé par ses voisins. Ce fait divers (ça s’est passé en 1870 à Hautefaye, un village de Dordogne) a inspiré à Jean Teulé un roman, Mangez-le si vous voulez, paru en 2009. Son adaptation par la compagnie Fouic Théâtre, qui a triomphé en 2013 au festival off d’Avignon, est de retour sur les planches. Le narrateur, Jean-Christophe Dollé, joue tous les rôles. Éveillant le monstre qui sommeille chez – presque – tous les villageois, il décrit le calvaire infligé à leur victime. Il partage la scène avec Clotilde Morgiève, ménagère qui torture en silence les aliments, et un
duo rock aux riffs grinçants. On sort hébété, séduit par l’audace de la mise en scène et méditant cette morale : en temps de crise, il suffit d’un rien – et d’un bouc émissaire – pour qu’une société bascule dans la sauvagerie. PB
Le théâtre à la folie
Jusqu’au 30 avril, on pouvait le voir au théâtre Tristan Bernard dans une pièce invraisemblable. Mangez-le si vous voulez, adapté du roman de Jean
Teulé raconte le lynchage méticuleux et systématique d’un jeune homme en 1870. Invraisemblable et pourtant bien réel, car il s’agit d’un fait divers historique qui finit en cannibalisme.
Créé l’année dernière dans le Off d’Avignon, le spectacle n’a pas désempli. Pas désempli non plus lors de sa reprise à Paris en janvier dernier. Le rythme haletant, la musique, l’histoire, la mise en scène, tout contribue à tenir le public en haleine. "Les gens sont captivés, mal à l'aise, dégoûtés et pour- tant, ils ne décrochent pas. On peut aussi apprécier un spectacle tout en ayant un sentiment d'horreur". Le jeu de Jean- Christophe Dollé est pourtant à l’origine du phénomène. Face public, il raconte l’histoire avec un détachement tout clinique qui met en confiance et engage à entendre un peu plus d’horreur. Comme un chef qui orchestre chaque instrument de la scène, il manipule l’attention du spectateur, tantôt apaisant, flatteur, inquiétant, fragile... Il est vrai qu’il en connaît un rayon en matière de folie, glisse en douce Clotilde Morgiève, l’autre face du Fouic theatre. Déjà il y a 12 ans lorsqu’ils ont créé leur compagnie, le premier spectacle qu’ils montaient s’appelait Le Killer, un texte de... Jean-Christophe Dollé. "On est obsédé par la folie, enfin surtout moi. Tous nos spectacles en parlent. Le tout premier se passait dans le cabinet d'un psy avec 17 comédiens sur scène pris dans une espèce de jeu de rôles pour expulser des passions et des pulsions refoulées. Un des personnages était un véritable serial killer et on l'avait appelé Freak". Traduisez en anglais, le monstre. D’où aussi le
nom de leur compagnie. "On voulait l’appeler Freak, mais à l’oral les gens entendaient Fric. Et Fric théâtre, ça sonnait mal. Alors, on l’a dit avec l’accent anglais, Fouic, le Fouic Théâtre".
Jean-Christophe Dollé a écrit d’autres pièces. Après le Killer, il y a eu Blue.fr et Abilifaïe Léponaix. Et avant de créer la compagnie, Cucurbitapepo ou la migraine du siècle en 1993. "Il y a toujours cette obsession de la folie et un côté rock". Parce qu’en plus, il compose. "On travaille aussi avec des scénographes et des chorégraphes". Totalement indépendants, pas encore conventionnés, très peu aidés, ils sont heureux de faire leur propre théâtre. "On ne sort pas du Conservatoire et on n'est pas dans le réseau subventionné. On fonctionne un peu comme les compagnies de cirque".
D’ailleurs, il est prêt à expérimenter d’autres formes. "J'ai envie de travailler avec du monde sur scène, de faire un spectacle sans texte et monter un Shakespeare". Lequel ? "Hamlet. C'est LE personnage du théâtre".
HC
Prix du jury jeunes à une troupe (doté de 5 000 €) :
Mangez-le si vous voulez
Notre chronique. Mangez-le si vous voulez, folle énergie. Un spectacle électro-rock pour mettre en scène un fait divers, il fallait oser ! Pari amplement réussi.
Il y a ce fait divers, sordide et terriblement réel. La mise à mort d’un jeune homme, en 1870, dans le Périgord par une foule devenue incontrôlable. Jean Teulé en a fait un roman… et Le Fouic Théâtre a décidé de l’adapter au théâtre. Entreprise folle de montrer sur scène une telle sauvagerie, avec seulement deux comédiens et deux musiciens ! Pari réussi, pourtant, pour Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé, à la fois metteurs en scène et interprètes principaux.
La musique, oppressante, accompagne la descente aux enfers du jeune supplicié. Et le décor principal, une cuisine des années cinquante, symbolise à lui seul ce petit village si paisible qui bascule dans la folie. Toute la violence semble transposée dans les accords discordants ou ces bruits de cuisine inquiétants.
Dans ce climat sous tension, Jean-Christophe Dollé virevolte avec une énergie folle. Il occupe le devant de la scène, mime des personnages plus truculents les uns que les autres, grimpe sur les meubles… Son personnage en creux, c’est Clotilde Morgiève, la cuisinière, économe de ses gestes et de sa parole, mais si présente ! L’humour apporte une respiration indispensable à la violence du récit. Et les deux musiciens jouent à la perfection leur partition, bien au-delà de la musique.
L'histoire a de quoi en faire frémir plus d'un. Nous sommes en 1870, la France est en guerre contre la Prusse. Un jeune homme de bonne famille, le fringant Alain de Monéys, s'en va un beau matin le cœur léger pour la foire annuelle de Hautefaye. Alors que le soleil se réveille à peine de sa nuit, le pauvre Alain ne se doute pas qu'il finira la journée sur un bûcher, après avoir été violemment lynché par ses amis d'enfance et voisins. Ambiance. Inspiré par l'affaire Hautefaye, l'auteur Jean Teulé signe avec 'Mangez-le si vous voulez' une œuvre saisissante et décalée, une chronique précise et rythmée de la folie ordinaire. Un humour noir à glacer le sang que les deux metteurs en scène et acteurs Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève convoquent sur scène avec ingéniosité et imagination dans une comédie féroce.
Pour raconter cette descente aux enfers incontrôlable, les deux comédiens se sont entourés d'un duo de musiciens, les très doués Mehdi Bourayou et Laurent Guillet. Une écriture sonore qui à l'instar de la mise en scène oscille dangereusement entre la comptine morbide et les riffs crispants. En parfaite harmonie avec la scénographie : une cuisine rose bonbon riche de trappes et dans laquelle on appréhende les coups acérés du hachoir.
Un récit de monstruosités raconté avec entrain par un Jean-Christophe Dollé qui interprète à lui seul tous les rôles - du féroce François Mazière au sadique François Chambord - et une Clotilde Morgiève muette mais très expressive en ménagère sixties façon Betty Draper. Le résultat est une fable caustique qui s'amuse à nous faire rire jaune.
Elsa Pereira
16 août 1870 foire annuelle de Hautefaye, pour un mot de travers prononcé, Amin de Moneys leur ami d'enfance et voisin a été lynché par une foule en pleine hystérie collective, cruellement martyrisé, torturé, puis brûlé vif et en partie mangé.
Un des plus horribles fait divers de l'histoire de France, mettant en évidence la bêtise humaine et la cruauté de l'humain englobé dans un groupe.
Jean Teulé a bien retranscrit cette monstrueuse affaire avec force détails, reprise par Jean-Christophe Dollé qui en a fait une adaptation éblouissante, un spectacle électro rock culinaire. Fallait avoir l'idée.
Mais surtout cela devient une histoire universelle, l'histoire de toutes les lâchetés, très proche bien sur du fascisme.
Sur scène au centre le narrateur costume gris et petit chapeau sur la tête, à gauche une ménagère qui ponctue le spectacle de ses gestes et des bruits de cuisine qu'elle engendre avec insouciance détachée du réel… et à droite deux musiciens qui transposent la violence. Les sons de la batterie, ou de la guitare interviennent dans le récit comme éléments sonores, coups de poings, cris, déferlent sur la scène participant à l'ambiance de folie qui y règne.
On assiste à la mutation d'un groupe de braves gens en une horde de déséquilibrés pour qui la vie n'a plus de valeur, qui ne respecte plus rien qui poursuit un tracé stupide et destructeur. Cette ambiance de début de guerre pousse les gens hors d'eux même...hallucinant, mais si réel.
La grande force de JC Dollé c'est de se distancer du récit, de le tronçonner, d'y introduire des pauses pour le rendre digérable.
Il y a aussi dans son jeu beaucoup de fragilité, qui nous permet de prendre du recul. Ainsi l’innommable devient non pas acceptable mais assimilable sans trop d'effort.
On voit la scène, mais seul notre imaginaire est dans ce que l'on voit car tout est suggéré, rien n’est montré.
Ames sensibles pas de soucis, vous pourrez voir ce spectacle, pas de sang ni de blessures... du grand art dans l'humour noir, si noir. On ressort broyés par les émotions qui nous assaillent.
Un spectacle d'une grande force, dynamique, sans pause, très prenant...à ne pas manquer.
Jean Michel Gautier
Un beau jour d’été de 1870, dans une campagne du Périgord, Alain de Moneys, allant joyeusement à la foire à 3 kilomètres de chez lui, se retrouve prisonnier d’une impossible folie collective.
Le souffle coupé, nous assistons à la descente aux enfers de cet homme, persuadé jusqu’au bout, que ces gens, ses amis pour certains, vont « forcément revenir au vrai ».
Mais où est « le vrai » pour cette foule meurtrière ?…
Dans cette foire devenue foire d’empoigne, où les coups deviennent musique, où la musique devient la haine grondante d’une foule enragée, nous passons du rire aux larmes, hallucinés, angoissés.
Ce spectacle, à travers une mise en scène originale et surprenante, joué de façon somptueuse par les quatre comédiens et musiciens, nous montre et démontre la monstruosité portée à son comble, infligée par des gens ordinaires.
A voir et revoir absolument.
Tessa V.
« Mangez-le si vous voulez » est une adaptation du roman de Jean Teulé. Le mardi 16 août 1870, Alain de Monéys, jeune Périgourdin intelligent et aimable, sort du domicile de ses parents pour se rendre à la foire de Hautefaye, le village voisin. Il arrive à destination à 14 heures. Deux heures plus tard, la foule devenue folle l’aura lynché, torturé, brûlé vif et même mangé.
Pourquoi une telle horreur est-elle possible ? Comment une foule paisible peut-elle être saisie en quelques minutes par une frénésie aussi barbare ? Ce calvaire raconté étape par étape constitue l’une des anecdotes les plus honteuse de l’histoire du XIXème siècle en France.
La cuisinière Clotide Morgiève au sourire angélique omniprésent prépare le repas à une extrémité du plateau dans une cuisine aux couleurs acidulées très années 50. A l’autre extrémité, deux musiciens Medhi Bourayou et Laurent Guillet agrémentent le ton de la pièce d’une guitare, synthétiseur et cymbales, sans aucunes expressions du visage, tels des « croque-morts » tandis qu’au centre, le narrateur J.C. Dollé joue tous les rôles masculins, du plus jeune au plus ancien, amis ou ennemis de la victime.
JC Dollé commence le récit dans une ambiance maussade, période de guerre oblige, le comédien exécute tous les rôles avec une étonnante facilité, maniant gestuelle et accents avec talent. JC Dollé maîtrise le drame qui vient crescendo alors que la partition musicale accentue et marque la violence des coups, des lacérations de la barbarie meurtrière. Clotide Morgiève par un jeu plein de malice dévoile toute la monstruosité pouvant se cacher derrière des gens « normaux » et continue à cuisiner littéralement ce qui pourrait être notre héros.
Le spectacle est contrebalancé en permanence entre la musique electro rock, le récit vériste de JC Dollé et cette représentation angélique de monsieur tout le monde. Les comédiens et la mise en scène permettent d’éviter le pathos d’un terrible récit et mènent le spectateur au questionnement sur la vraie nature des hommes et leur propension au panurgisme.
Ne manquez pas « Mangez-le si vous voulez », l’adaptation est une réussite !
Béatrice Stopin.
16 août 1870 foire annuelle de Hautefaye, pour un mot de travers prononcé, Amin de Moneys leur ami d'enfance et voisin a été lynché par une foule en pleine hystérie collective, cruellement martyrisé, torturé, puis brûlé vif et en partie mangé.
Un des plus horribles fait divers de l'histoire de France, mettant en évidence la bêtise humaine et la cruauté de l'humain englobé dans un groupe.
Jean Teulé a bien retranscrit cette monstrueuse affaire avec force détails, reprise par Jean-Christophe Dollé qui en a fait une adaptation éblouissante, un spectacle électro rock culinaire. Fallait avoir l'idée.
Mais surtout cela devient une histoire universelle, l'histoire de toutes les lâchetés, très proche bien sur du fascisme.
Sur scène au centre le narrateur costume gris et petit chapeau sur la tête, à gauche une ménagère qui ponctue le spectacle de ses gestes et des bruits de cuisine qu'elle engendre avec insouciance détachée du réel… et à droite deux musiciens qui transposent la violence. Les sons de la batterie, ou de la guitare interviennent dans le récit comme éléments sonores, coups de poings, cris, déferlent sur la scène participant à l'ambiance de folie qui y règne.
On assiste à la mutation d'un groupe de braves gens en une horde de déséquilibrés pour qui la vie n'a plus de valeur, qui ne respecte plus rien qui poursuit un tracé stupide et destructeur. Cette ambiance de début de guerre pousse les gens hors d'eux même...hallucinant, mais si réel.
La grande force de JC Dollé c'est de se distancer du récit, de le tronçonner, d'y introduire des pauses pour le rendre digérable.
Il y a aussi dans son jeu beaucoup de fragilité, qui nous permet de prendre du recul. Ainsi l’innommable devient non pas acceptable mais assimilable sans trop d'effort.
On voit la scène, mais seul notre imaginaire est dans ce que l'on voit car tout est suggéré, rien n’est montré.
Ames sensibles pas de soucis, vous pourrez voir ce spectacle, pas de sang ni de blessures... du grand art dans l'humour noir, si noir. On ressort broyés par les émotions qui nous assaillent.
Un spectacle d'une grande force, dynamique, sans pause, très prenant...à ne pas manquer.
Jean Michel Gautier
C'est ça la force inextinguible du Festival Off d'Avignon, irrépressible tremplin en forme de boomerang. Un peu à l'instar du « Porteur d'histoire » d'Alexis Michalik, ce « Mangez-le si vous voulez »-là a été créé en juillet dans la cité des papes (pour sa part c'était en 2013), a connu ensuite une carrière parisienne des plus florissantes (jusqu'à être nommé aux Molières, tout de même) avant de revenir boucler la boucle avignonnaise, cette année, au théâtre Actuel.
La Cie Fouic Théâtre met en exergue le roman du génialissime (le dit-on assez ?) Jean Teulé, via une adaptation audacieuse, atypique et hautement jubilatoire. Pour preuve, afin de raconter l'histoire de ce Bourguignon, pris à tort pour un Prussien à la fin du XIXe siècle et voué aux gémonies par une communauté impitoyable (c'est un euphémisme), Jean-Christophe Tollé et Clotilde Morgiève ont pris le parti de la musique.
Un narrateur, deux instrumentistes, une comédienne à ressorts, le spectacle regorge de trouvailles attachantes, qui renforcent sans cesse la puissance du récit. Trip hop ou rock, les notes, fulgurantes, n'ont certes pas la force d'adoucir les mours du pugilat qui se façonne devant nous. Mais elles éclairent sans illustrer, insufflent sans accompagner. Une plus-value extraordinaire.
Ce dont Jean Teulé parle ici-bas, c'est de l'aveuglement collectif à partir d'un rien, la haine soudaine qui s'abat quand les conditions de vie sont au plus bas, la couardise de certains politiques lorsqu'il s'agit d'aider son prochain englué dans la fange. Bref, ça se passe en 1870 mais changez donc les costumes et en 2014, le schéma n'a pas vieilli.Courez voir si vous voulez voir cette pièce qui incarne avec faste la quintessence d'une adaptation de roman en théâtralité judicieuse.
Fabien BONNIEUX
COMMUNIQUE DE PRESSE
Remise du Prix Théâtre Adami 2014
par Zabou Breitman
Lauréat : LE FOUIC THÉÂTRE
Le Prix du Théâtre Adami 2014, doté d'un montant de 35 000 €, a été remis à la Closerie des Lilas ce mercredi 26 novembre, à Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé par Zabou Breitman, marraine du Prix 2014, Bruno Boutleux, directeur général de l'Adami et Jean-Jacques Milteau, président du Conseil d'administration. Et en présence de Jean Teulé, auteur du roman Mangez-le si vous voulez, dont l'adaptation théâtrale par le Fouie Théâtre remporte un vif succès depuis sa création. Depuis 2011 , le Prix du Théâtre Adami créé à l'initiative du conseil d'administration de l'Adami, a pour objet d'aider financièrement une jeune compagnie. Le jury, composé des membres du collège dramatique, choisit une compagnie pour la diversité de son activité, son talent d'interprétation et l'originalité de ses créations. L'Adami, société des artistes-interprètes, gère et développe leurs droits en France et dans le monde pour une plus juste rémunération de leur talent. Elle les accompagne également par ses aides financières aux projets artistiques.
Complémentaires et complices, ils se connaissent parfaitement et sont à leurs pièces de théâtre ce que le pile et la face sont à une pièce de monnaie. Rigueur de l'esthétique chez Clotilde Morgiève, foisonnement de l'imaginaire chez Jean-Christophe Dollé. Précision et soucis du détail chez l'une, friche multidisciplinaire chez l'autre. En 2000, quand l'un met en scène Yann de Monterno dans Tout un oiseau, l'autre filme et monte la vidéo projetée sur scène. En 2005, Dollé dirige le collectif créatif qui aboutira à Blue.fr, Morgiève peaufine une scénographie minimaliste qu'une rigueur budgétaire a rendue nécessairement astucieuse. En 2009, Dollé collecte les témoignages, écrit les textes et crée les personnages de Abilifaïe Léponaix,
tandis que Morgiève s'échine à faire vivre un décor austère fait de bâches plastiques lacérées, à l'intégrer dans le jeu pour harmoniser l'ensemble et optimiser la beauté des images. Aujourd'hui pour Mangez-le si vous voulez, ils assument pleinement une co-mise en scène. Miroir l'un de l'autre, intransigeance du regard et bienveillance inaltérable, entourés de leur équipe désormais solide.
Le Prix du théâtre Adami récompense le Fouic Théâtre
Marraine du Prix 2014, Zabou Breitman a remis le prix à Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève.
Créé en 2011 à l’initiative du conseil d’administration de l’Adami, société de gestion des droits de propriété intellectuelle des artistes-interprètes, le Prix du Théâtre Adami a pour vocation d’aider financièrement une jeune compagnie. Cette année, le jury du collège théâtre de l’Adami a choisi de récompenser le Fouic Théâtre, dont la dernière création,Mangez-le si vous voulez,d’après le texte de Jean Teulé, est toujours actuellement en tournée. Créé au Festival Off d’Avignon 2013, programmé à l’automne suivant au Théâtre Tristan Bernard à Paris, ce spectacle "électro-rock et culinaire" salué par la presse et deux nominations aux Molières, est interprété par les deux fondateurs de la compagnie, Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève, et les musiciens Mehdi Bourayou et Laurent Guillet.
La saison dernière, l’Adami, qui gère et développe les droits des artistes-interprètes en France et dans le monde, a apporté son soutien à plus de 900 spectacles vivants. En racontant une anecdote sur la situation des artistes aux Etats-Unis, Zabou Breitman, marraine de l’édition 2014, a salué l’importance de l’existence et de l’action de l’Adami et rappelé "la chance d’avoir un système comme ça en France".
Annie Chénieux
lauréats du prix Théâtre ADAMI 2014
L’ADAMI (Administration des droits des artistes et interprètes) a eu du flair. Elle attribue son prix théâtre 2014 – un chèque de 35 000 euros – à la compagnie Fouic, que dirigent et animent Jean-Christophe Dollé et Clodile Morgièvre. Le directeur et le président de l’ADAMI, Bruno Boutleux et Jean-Jacques Milteau, ont remis cette récompense cette semaine à la closerie des Lilas. Fouic, c’est une série de spectacles décapants qui mettent cause le conformisme de la société et du théâtre, avec une implication physique peu courante. Après Blue.fr, qui représentait une humanité marginale, et Abilifaï Léponaix,qui donnait à voir des malades mentaux, Fouic a adapté le récit de Jean Teulé, Mangez-le si vous voulez !, inspiré par un fait divers qui a eu lieu en Dordogne en 1970 : soudain traversés par un nationalisme aveugle et haineux, des villageois interprètent mal une phrase d’un de leur concitoyen qui est un personnage bienveillant et même leur bienfaiteur, et se mettent à le massacrer. Ce spectacle, qui n’est pas réaliste, qui est plutôt un récit rageur et musical, a été créé dans le off, repris au Tristan Bernard et effectue actuellement une longue tournée, jusqu’au printemps.
Voici ce qu’en disait Webthea au mois de janvier :
La pièce se déroule devant un décor de cuisine des plus tocards (les meubles – à dominante rose ! - ont été trafiqués pour permettre quelques effets et des troubles de la perception). D’ailleurs, Clotilde Morgièvre fait un peu la cuisine. Ça sent bon la France ! La France villageoise, popote et nationaliste ! Entre Jean-Christophe Dollé, chapeau sur la tête, guitare sous le bras. Il se lance dans son récit, comme on court, comme on sprinte, comme on crie. La musique, qui a des moments rock, se déchaîne. Clotilde Morgièvre place quelques gags, quelque numéros de charme parodiques. Mais le texte est lancé comme un train qui ne s’arrêtera que lorsqu’il n’y aura plus de rails. Dollé conte épisode après épisode, sans prendre de souffle, ou si peu. Il parle, il chante. C’est souvent drôle, et de plus en plus terrifiant : une chasse à l’homme, un voyage dans la cruauté la plus obscure. La mise en scène change les perspectives : Dollé disparaît et réapparaît à travers des caches et des angles imprévus. Les musiciens entrent dans le texte et l’action furtivement, parlent un peu. Mais leurs instruments grondent. Ça cogne, cogne, cogne et re-cogne ! Cela ressemble à une visite de l’enfer. L’enfer en France, chez les "braves gens".
La scène est haute, en aplomb. Dollé ignore le vertige. Il monte au sommet d’un meuble. Il s’envole même suspendu à une enseigne lumineuse qui vient d’apparaître on ne sait comment. Sur le sommet du meuble, puis retenu dans l’air par un fil invisible, il continue, comme rendu fou par la folie qu’il conte et dénonce. Puis tout, soudain, tout a été dit. Jean-Christophe Dollé a été stupéfiant, trouvant la violence moderne du chœur antique.